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538 DISSERTATION DU TRADrCTKUll.

Je nu » vois ol)ligC ck* servir l’ignorance :

J’enferme sous (|uiitre verrous^

Sophocle, Huripide, et Térence. J’écris en insensé ; mais j’écris pour des fous.

Le public est mon maître, il faut bien le servir ; Il faut, pour son argent, lui donner ce qu’il aimo.

J’écris pour lui, non pour moi-même. Et cherche des succès dont je n’ai (|u’à rougir.

Il avoue ensuite qu’en France, en Italie, on regardait comme des barbares les auteurs qui travaillaient dans le goût qu’il se reproclie ; et il ajoute qu’au moment qu’il écrit cette épître, il en est à sa quatre cent quatre-vingt-troisième pièce de théâtre : il alla depuis jusqu’à plus de mille. Il est sûr qu’un homme qui a fait mille comédies n’en a pas fait une bonne.

Le grand malheur de Lope et de Shakespeare était d’être comé- diens : mais Molière était comédien aussi ; et, au lieu de s’asservir au détestable goût de son siècle, il le força à prendre le sien.

Il y a certainement un bon et un mauvais goût : si cela n’était pas, il n’y aurait aucune différence entre les chansons du Pont- Neuf et le second livre de Virgile : les chantres du Pont-Neuf seraient bien reçus à nous dire : Nous avons notre goût ; Auguste, Mécène, Pollion, Varius, avaient le leur, et la Samaritaine vaut bien l’Apollon palatin.

Mais quels seront nos juges ? diront les partisans de ces pièces irrégulières et bizarres. Qui ? toutes les nations, excepté vous. Quand tous les hommes éclairés de tout pays, quitus est œquus et pater et res ^, se réuniront à estimer le deuxième, le troisième, le quatrième et le sixième livres de Virgile, et les sauront par cœur, soyez sûrs que ce sont là ses beautés de tous les temps et de tous les lieux. Quand vous verrez les beaux morceaux de Cinna et û’Athalic applaudis sur les théâtres de l’Europe, depuis Pétersbourg jusqu’à Parme, concluez que ces tragédies sont admirables avec leurs défauts ; mais si on ne joue jamais les vôtres que chez vous seuls, que pouvez-vous en conclure ?

1. Encicrro los préceptes con seis llavos, etc.

2. Horace, de Artepoetica, v. 248.

FIN DE LA DISSERTATION SUR L HERACLIUS.