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3S KIMTRE 1)1 : I)U : ATOIRE.

sonne ne jugera mieux que vous si l’auteur a rendu quelque service à la scène française en habillant la Sophonisbe de Mairet à la moderne.

11 était triste que l’ouvrage de Mairet, qui eut tant de réputation autrefois*, fût absolument exclu du théAtre, et qu’il rebutât même tous les lecteurs, non-seulement par les expressions surannées, et par les fainiliarilés qui déshonoraient alors la scène, mais par quelques indécences que la pureté de notre théâtre rend aujourd’hui intolérables. Il faut toujours se souvenir que cette)ièce, écrite longtenqîs avant le Cul, est la première qui apprit aux Français les règles de la tragédie, et qui mit le théâtre en honneur.

Il est très-remarquable qu’en France ainsi qu’en Italie l’art tragique ait commencé par une Sophonisbe. Le prélat- Georgio Trissino, par le conseil de archevêque de Bénévent, voulant faire passer ce grand art de la Grèce chez ses compatriotes, choisit le sujet de Sophonisbe pour son coup d’essai plus de cent ans avant Alairet. Sa tragédie, ornée de chœurs, fut représentée à Vicenza dès l’an 1514, avec une magnificence digne du plus beau siècle de l’Italie.

Notre émulation se borna, près de cinquante ans après, à la traduire en prose ; et quelle prose encore ! Vous avez, monseigneur, cette traduction faite par Mélin de Saint-Gelais, Nous n’étions dignes alors de rien traduire ni en prose ni en vers. Notre langue n’était pas formée ; elle ne le fut que par nos premiers académiciens ; et il n’y avait point d’académie encore quand Mairet travailla.

Dans cette barbarie, il commença par imiter les Italiens ; il conçut les préceptes qu’ils avaient tous suivis ; les unités de lieu, de temps, et d’action, furent scrupuleusement observées dans sa Sophonisbe. Elle fut composée dès l’an 1629, et jouée en 1633 ^ Une faible aurore de bon goût commençait à naître. Les indignes bouffonneries dont l’Espagne et l’Angleterre salissaient souvent leur scène tragique furent proscrites par Mairet ; mais il ne put <-hasser je ne sais quelle familiarité comique, qui était d’autant plus à la mode alors que ce genre est plus facile, et qu’on a pour excuse de pouvoir dire : « Cela est naturel. » Ces naïvetés furent longtemps en possession du théâtre en France.

1. « La Sophonisbe rlc Mairet ne vaut rien du tout, » avait dit Voltaire dans son Commentaire sur Corneille. (B.)

2. Voyez Théâtre, tome III, page 488, note 1.

3. Elle fut jouée en 1G29, et imprimée en 1635. (B.)