Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome7.djvu/402

Cette page n’a pas encore été corrigée


DISCOURS PRONONCÉ AVANT LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION D’AGATHOCLE.


La perte irréparable que le théâtre, les lettres, et la France, ont faite l’année dernière, et dont le triste anniversaire vous rassemble aujourd’hui, a été, depuis cette fatale époque, l’objet continuel de vos regrets. Vous avez du moins eu la consolation de voir ce que l’Europe a de plus grand et de plus auguste partager un sentiment si digne de vous ; et les honneurs que vous venez rendre à cette ombre illustre vont encore satisfaire et soulager tout à la fois votre juste douleur. Pour donner à cette cérémonie funèbre tout l’éclat qu’elle mérite et que vous désirez, nous avions pensé d’abord à remettre sous vos yeux quelqu’une de ces tragédies immortelles dont M. de Voltaire a si longtemps enrichi la scène, et que vous venez si louvent y admirer ; mais dans ce jour de deuil, où le premier besoin de vos cœurs est de déplorer la perte de ce grand homme, nous croyons ajouter à l’intérêt qu’elle vous inspire, en vous présentant la pièce qu’il vous destinait quand la mort est venue terminer sa glorieuse carrière.

Vous verrez sans doute, messieurs, avec attendrissement l’auteur de Zaïre et de Mérope, accablé d’années, de travaux, et de souffrances, recueillant tout ce qui lui restait de force et de courage pour s’occuper encore de vos plaisirs, au moment où vous alliez le perdre pour jamais ; vous connaîtrez tout le prix qu’il mettait à vos suffrages, par les efforts qu’il faisait au bord même du tombeau pour les mériter, efforts qui peut-être ont abrégé une vie si précieuse.

Un peuple dont le goût éclairé pour les beaux-arts revit en vous, le peuple d’Athènes, entouré des chefs-d’œuvre que lui laissaient en mourant les artistes célèbres, semblait, au moment de leurs obsèques, arrêter ses regards avec moins d’intérêt sur ces productions sublimes que sur les ouvrages auxquels ces hommes rares travaillaient encore lorsqu’ils avaient été enlevés à la patrie. Les yeux pénétrants de leurs concitoyens lisaient dans ces respectables restes toute la pensée du génie qui les avait conçus. Ils y voyaient encore attachée la main expirante qui n’avait pu les finir ; et cette douloureuse image leur rendait plus cher l’illustre compatriote qu’ils ne possédaient plus, mais qui jusqu’à la fin de sa vie avait tout fait pour eux.