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AVERTISSEMENT. 3<9

allusion à ces retouches auxquelles il se livrait jour et nuit, en disant à M’"« Veslris, qui devait jouer le rôle d’Irène : « Madame, j’ai travaillé pour vous cette nuit coinino un jeune homme de vingt ans. »

Il s’éleva une grosse question à propos du rôle de Zoé. Le maréchal de Richelieu aurait désiré qu’il fût donné à M""’ Mole. Voltaire voulait M"*" Sain val cadette. Sophie Arnould fut employée dans les négociations qui eurent lieu sur ce sujet. Dans un post-scriptum à une lettre du 19 février 1778, Voltaire écrit à d’Argental :

« Dix heures et deniio du soir.

« M"’= Arnould revient de chez M"« Sainval la cadette, qui lui a promis de jouer Zoé. Il ne s’agit plus que d’obtenir de M. Mole de convertir sa femme, à laquelle on promet un rôle fait pour elle dans le Droit du seigneur, ([ui est entièrement changé et qu’on pourrait jouer à la suite d’Irène, si cette Irène avait un peu de succès. » Le lendemain, tout était arrangé, et le poëte écrivait ce petit billet aux époux Mole : « Le vieux malade de Ferney n’a point de terme pour exprimer la reconnaissance qu’il doit à l’amitié que M. Mole veut bien lui témoigner, et aux extrêmes bontés de M’"* Mole. Elle lui sacrifie ce qui n’était pas digne d’elle et ce qu’elle embellira lorsqu’elle daignera le reprendre ; il est pénétré de ce qu’il doit à sa complaisance ; il espère l’être de ses talents quand il aura le plaisir de l’entendre. Il lui présente ses respectueux remerciements (20 février 1778]. »

Les répétitions commencèrent dans les premiers jours de mars. Voltaire ne fut pas satisfait des interprètes (Y frêne, à commencer par M"’^ Vestris, dont la tran([uillilé imperturbable l’exaspérait. Il lui dit : « Madame, je me rappel ! e M"*^ Duclos que j’ai vue, il y a cinquante ans, faire pleurer une assemblée nombreuse en prononçant un seul mot ; un : mon père, mon amanl, dit par elle, faisait fondre en larmes tous les spectateurs. »

Cette fois encore la tradition a recueilli bien des traits de vivacité plaisants, de piquantes boutades, et aussi des répliques irrespectueuses des comédiens. Tout cela n’est pas d’une authenticité incontestable ; la riposte de Brizard notamment : « Il suffit, monsieur, que vous me le disiez i)our que je ne le fasse pas », n’est pas vraisemblable, si l’on songe que le même Brizard fut l’acteur charge déposer la couronne sur le front du grand homme dans l’apothéose du 30 mars, et que Voltaire lui réserva le rôle d’xVgathocle. Mais il n’en résulte pas moins que le poëte octogénaire avait toujours, quand il s’agissait de ses œuvres dramatiques, l’humeur aussi bouillante, la fibre aussi irritable^.

1. « À une des répétitions d’Irène, M. de Voltaire, mécontent des comédiens, se tourmentait beaucoup pour leur donner le sens de quelques morceaux. Un duc se trouvait là, je ne sais trop lequel, il y en a tant ! Il osa dire à l’auteur de la pièce qu’il avait tort de s’enflammer, qu’il lui paraissait que les comédiens rendaient fort bien ses vers. « Cela peut être fort bon pour un duc, dit Voltaire ; « mais pour moi cela ne vaut rien. » Correspondance secrète, politique et litté- raire (Londres, J. Adamson), de Paris, le 23 juillet 1778.