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L’homicide en effet rend-il les dieux propices ?
Avons-nous plus d’états, de trésors, et d’amis,
Depuis qu’Idoménée eut égorgé son fils ?
Guerriers, c’est par vos mains qu’aux feux vengeurs en proie,
J’ai vu tomber les murs de la superbe Troie,
Nous répandons le sang des malheureux mortels ;
Mais c’est dans les combats, et non point aux autels.
Songez que de Calchas et de la Grèce unie
Le ciel n’accepta point le sang d’Iphigénie[1].
Ah ! Si pour nous venger le glaive est dans nos mains,
Cruels aux champs de mars, ailleurs soyons humains ;
Ne peut-on voir la Crète heureuse et florissante
Que par l’assassinat d’une fille innocente ?
Les enfants de Cydon seront-ils plus soumis ?
Sans en être plus craints nous serons plus haïs.
Au souverain des dieux rendons un autre hommage :
Méritons ses bontés, mais par notre courage :
Vengeons-nous, combattons, qu’il seconde nos coups ;
Et vous, prêtres des dieux, faites des vœux pour nous,

Pharès.

Nous les formons, ces vœux ; mais ils sont inutiles
Pour les esprits altiers et les cœurs indociles.
La loi parle, il suffit : vous n’êtes en effet
Que son premier organe et son premier sujet ;
C’est Jupiter qui règne : il veut qu’on obéisse ;
Et ce n’est pas à vous de juger sa justice.
S’il daigna devant Troie accorder un pardon
Au sang que dans l’Aulide offrait Agamemnon,
Quand il veut, il fait grâce : écoutez en silence
La voix de sa justice ou bien de sa clémence ;
Il commande à la terre, à la nature, au sort ;
Il tient entre ses mains la naissance et la mort.
Quel nouvel intérêt vous agite et vous presse ?
Nul de nous ne montra ces marques de faiblesse
Pour le dernier objet qui fut sacrifié ;
Nous ne connaissons point cette fausse pitié.

  1. Plusieurs anciens auteurs assurent qu’Iphigénie fut en effet sacrifiée ; d’autres imaginèrent la fable de Diane et de la biche. Il est encore plus vraisemblable que, dans ces temps barbares, un père ait sacrifié sa fille, qu’il ne l’est qu’une déesse, nommée Diane, ait enlevé cette victime, et mis une biche à sa place : mais cette fable prévalut ; elle eut cours dans toute l’Asie comme dans la Grèce, et servit de modèle à d’autres fables. (Note de Voltaire.)