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EPITRE DÉDICATOIRE. 499

ot le plus beau théâtre. * De boune foi, tout cela existerait-il si les campagnes ne produisaient que des ronces ?

J’ai choisi pour mon habitation un des moins bons terrains qui soient en France ; cependant rien ne nous y manque : le pays est orné de maisons qu’on eût regardées autrefois comme trop belles ; le pauvre qui veut s’occuper y cesse d’êrre pauvre ; cette petite province est devenue un jardin riant. Il vaut mieux, sans doute, fertiliser sa terre que de se plaindre à Paris de la stérilité de sa terre 2.

Me voilà, madame, un peu loin de Tancrède : j’abuse du droit de mon âge, j’abuse de vos moments, je tombe dans les digressions, je dis peu en beaucoup de paroles. Ce n’est pas là le caractère de votre esprit ; mais je serais plus diffus si je m’abandonnais aux sentiments de ma reconnaissance. Recevez avec votre bonté ordinaire, madame, mon attachement et mon respect, que rien ne peut altérer jamais.

Feniey en Bourgogne, 10 d’octobre 1759=.

1. Lyon.

2. La Franco était alors obérée et siirchargéo d’impôts, mais les campagnes étaient cultivées ; et si Ton avait comparé la masse dos impôts avec la somme du produit net des terres, peut-être l’aurait-on trouvée dans une moindre proportion que du temps de Charles IX, de Henri III, ou même de Henri IV. Si l’on avait comparé de même la somme de ce produit net au nombre des hommes employés à la culture, on l’aurait trouvée dans un rapport plus grand. Il résulte de cette seconde comparaison qu’il pouvait y avoir, en 17G0, plus de valeurs réelles qu’on pouvait employer à payer la main-d’œuvre des travaux d’industrie et de construction, que dans des temps regardés comme plus heureux. L’impôt est injuste lorsqu’il excède les dépenses nécessaires et strictement nécessaires à la prospérité publique : il est alors un véritable vol aux contribuables. Il est injuste encore lorsqu’il n’est pas distribué proportionnellement aux propriétés de chacun. Il est tyrannique lorsque sa forme assujettit les citoyens à des gênes ou à des vexations inutiles ; mais il n’est destructeur de la richesse nationale que lorsque, soit par sa grandeur soit par sa forme, il diminue l’intérêt de former des entreprises de culture, ou’qu’il J les, fait négliger. Il n’était pas encore parvenu à ce point en 1760 ; et, quoiqu’il y eût en France beaucoup de malheureux, quoique le peuple gémît sous le poids de la fiscalité, le royaume était encore riche et bien cultivé. Tout était si peu perdu

à cette époque que quelques années d’une bonne administration eussent alors suffi pour tout réparer. Ce que dit ici M. de Voltaire était donc très-vrai ; mais ce n’était en aucune manière une excuse pour ceux qui gouvernaient. (K.)

3. Dans les éditions de Prault et de Duchesne, cette dédicace est datée du 19 octobre 1760. Elle est sans date dans les autres éditions. Voltaire, dans sa lettre à d’Argental, du 28 décembre 1760, recommande de mettre et motive la date telle que je l’ai mise. Dans sa lettre à M"’« d’Argental, du 25 octobre 1760, il dit qu’il no signe pas la dédicace parce qu’il est trop ridicule d’écrire une dissertation comme on écrit une lettre, avec un très-humble serviteur. (B.)