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FREEPORT.

Moi ? non… n’en auriez-vous pas fait autant à ma place ?

MONROSE.

Je le crois, si j’étais riche, et si elle le méritait.

FREEPORT.

Eh bien ! que trouvez-vous donc là d’admirable ? (Il prend les gazettes.) Ah ! ah ! voyons ce que disent les nouveaux papiers d’aujourd’hui. Hom ! hom ! le lord Falbrige mort !

MONROSE, s’avançant.

Falbrige mort ! le seul ami qui me restait sur la terre ! le seul dont j’attendais quelque appui ! Fortune ! tu ne cesseras jamais de me persécuter !

FREEPORT.

Il était votre ami ? j’en suis fâché… « D’Édimbourg, le 14 avril… On cherche partout le lord Monrose, condamné depuis onze ans à perdre la tête. »

MONROSE.

Juste ciel ! qu’entends-je ! hem ! que dites-vous ? milord Monrose condamné à…

FREEPORT.

Oui, parbleu, le lord Monrose… Lisez vous-même ; je ne me trompe pas.

MONROSE, lit.

(Froidement.) Oui, cela est vrai… (À part.) Il faut sortir d’ici. Je ne crois pas que la terre et l’enfer conjurés ensemble aient jamais assemblé tant d’infortunes contre un seul homme. (À son valet jacq, qui est dans un coin de la salle.) Hé, va faire seller mes chevaux, et que je puisse partir, s’il est nécessaire, à l’entrée de la nuit… Comme les nouvelles courent ! comme le mal vole !

FREEPORT.

Il n’y a point de mal à cela ; qu’importe que le lord Monrose soit décapité ou non ? Tout s’imprime, tout s’écrit, rien ne demeure : on coupe une tête aujourd’hui, le gazetier le dit le lendemain, et le surlendemain on n’en parle plus. Si cette demoiselle Lindane n’était pas si fière, j’irais savoir comme elle se porte : elle est fort jolie et fort honnête.