Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/461

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LADY ALTON.

Le perfide ! le méchant homme ! N’importe, je vous dis que cette lettre est pour moi : n’est-elle pas sans dessus ?

ANDRÉ.

Oui, madame.

LADY ALTON.

Toutes les lettres que vous m’avez apportées n’étaient-elles pas sans dessus aussi ?

ANDRÉ.

Oui ; mais elle est pour Lindane.

LADY ALTON.

Je vous dis qu’elle est pour moi ; et, pour vous le prouver, voici dix guinées de port que je vous donne.

ANDRÉ.

Ah ! oui, madame, vous m’y faites penser, vous avez raison, la lettre est pour vous, je l’avais oublié… Mais cependant, comme elle n’était pas pour vous, ne me décelez pas : dites que vous l’avez trouvée chez Lindane.

LADY ALTON.

Laisse-moi faire.

ANDRÉ.

Quel mal, après tout, de donner à une femme une lettre écrite pour une autre ? Il n’y a rien de perdu ; toutes ces lettres se ressemblent. Si Mlle Lindane ne reçoit pas sa lettre, elle en recevra d’autres. Ma commission est faite. Oh ! je fais bien mes commissions, moi.

(Il sort.)
LADY ALTON, ouvre la lettre, et lit.

Lisons : « Ma chère, ma respectable, ma vertueuse Lindane… » Il ne m’en a jamais tant écrit… « Il y a deux jours, il y a un siècle que je m’arrache au bonheur d’être à vos pieds, mais c’est pour vos seuls intérêts : je sais qui vous êtes, et ce que je vous dois : je périrai, ou les choses changeront. Mes amis agissent : comptez sur moi comme sur l’amant le plus fidèle, et sur un homme digne peut-être de vous servir. »

(Après avoir lu.)

C’est une conspiration, il n’en faut point douter : elle est d’Écosse ; sa famille est malintentionnée ; le père de Murray a commandé en Écosse ; ses amis agissent : il court jour et nuit. Dieu merci ! j’ai agi aussi ; et, si elle n’accepte pas mes offres, elle sera enlevée dans une heure, avant que son indigne amant la secoure.