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FREEPORT.

Je ne prétends point vous incommoder ; je prends mes aises, prenez les vôtres ; je lis les gazettes ; travaillez en tapisserie, et prenez du chocolat avec moi… ou sans moi… comme vous voudrez.

POLLY.

Voilà un étrange original !

LINDANE.

Ô ciel ! quelle visite je reçois ! Cet homme bizarre m’assassine : je ne pourrai m’en défaire : comment M. Fabrice a-t-il pu souffrir cela ? Il faut bien s’asseoir.

(Elle s’assied, et travaille à son ouvrage.)
(Un garçon apporte du chocolat ; Freeport en prend sans en offrir ; il parle et boit par reprises.)
FREEPORT.

Écoutez, Je ne suis pas homme à compliment ; on m’a dit de vous… le plus grand bien qu’on puisse dire d’une femme : vous êtes pauvre et vertueuse ; mais on ajoute que vous êtes fière, et cela n’est pas bien.

POLLY.

Et qui vous a dit tout cela, monsieur ?

FREEPORT.

Parbleu, c’est le maître de la maison, qui est un très-galant homme, et que j’en crois sur sa parole.

LINDANE.

C’est un tour qu’il vous joue : il vous a trompé, monsieur ; non pas sur la fierté, qui n’est que le partage de la vraie modestie ; non pas sur la vertu, qui est mon premier devoir ; mais sur la pauvreté, dont il me soupçonne. Qui n’a besoin de rien n’est jamais pauvre.

FREEPORT.

Vous ne dites pas la vérité, et cela est encore plus mal que d’être fière : je sais mieux que vous que vous manquez de tout, et quelquefois même vous vous dérobez un repas.

POLLY.

C’est par ordre du médecin.

FREEPORT.

Taisez-vous ; est-ce que vous êtes fière aussi, vous ?

POLLY.

Oh ! l’original ! l’original !

FREEPORT.

En un mot, ayez de l’orgueil ou non, peu m’importe. J’ai fait un voyage à la Jamaïque, qui m’a valu cinq mille guinées ; je me