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XANTIPPE.

Vous avez trop tardé.

AGLAÉ.

Comment ! Il n’est plus temps ! Juste ciel !

SOPHRONIME.

Quoi ! Socrate aurait déjà bu la coupe empoisonnée ?

SOCRATE.

Aimable Aglaé, tendre Sophronime, la loi ordonnait que je prisse le poison : j’ai obéi à la loi, tout injuste qu’elle est, parce qu’elle n’opprime que moi. Si cette injustice eût été commise envers un autre, j’aurais combattu. Je vais mourir : mais l’exemple d’amitié et de grandeur d’âme que vous donnez au monde ne périra jamais. Votre vertu l’emporte sur le crime de ceux qui m’ont accusé. Je bénis ce qu’on appelle mon malheur ; il a mis au jour toute la force de votre belle âme. Ma chère Xantippe, soyez heureuse, et songez que pour l’être il faut dompter son humeur. Mes disciples bien aimés, écoutez toujours la voix de la philosophie, qui méprise les persécuteurs, et qui prend pitié des faiblesses humaines ; et vous, ma fille Aglaé, mon fils Sophronime, soyez toujours semblables à vous-mêmes.

AGLAÉ.

Que nous sommes à plaindre de n’avoir pu mourir pour vous !

SOCRATE.

Votre vie est précieuse, la mienne est inutile : recevez mes tendres et derniers adieux. Les portes de l’éternité s’ouvrent pour moi.

XANTIPPE.

C’était un grand homme, quand j’y songe ! Ah ! Je vais soulever la nation, et manger le coeur d’Anitus.

SOPHRONIME.

Puissions-nous élever des temples à Socrate, si un homme en mérite !

CRITON.

Puisse au moins sa sagesse apprendre aux hommes que c’est à Dieu seul que nous devons des temples !