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Scène VI.

Socrate, Sophronime, Aglaé.
SOPHRONIME.

Ô Socrate ! Mon maître, mon père ! Je me vois ici le plus infortuné des hommes, entre les deux êtres par qui je respire : c’est vous qui m’avez appris la sagesse ; c’est Aglaé qui m’a appris à sentir l’amour. Vous avez donné votre consentement à notre hymen : la belle Aglaé, qui semblait le désirer, me refuse ; et, en me disant qu’elle m’aime, elle me plonge le poignard dans le coeur. Elle rompt notre hymen, sans m’apprendre la cause d’un si cruel caprice : ou empêchez mon malheur, ou apprenez-moi, s’il est possible, à le soutenir.

AGLAÉ.

Aglaé est maîtresse de ses volontés ; son père m’a fait son tuteur, et non pas son tyran. Je faisais mon bonheur de vous unir ensemble : si elle a changé d’avis, j’en suis surpris, j’en suis affligé ; mais il faut écouter ses raisons : si elles sont justes, il faut s’y conformer.

SOPHRONIME.

Elles ne peuvent être justes.

AGLAÉ.

Elles le sont, du moins à mes yeux : daignez m’écouter l’un et l’autre. Quand vous eûtes accepté le testament secret de mon père, sage et généreux. Socrate, vous me dîtes qu’il me laissait un bien honnête, avec lequel je pourrais m’établir. Je formai dès lors le dessein de donner cette fortune à votre cher disciple Sophronime, qui n’a que vous d’appui, et qui ne possède pour toute richesse que sa vertu : vous avez approuvé ma résolution. Vous concevez quel était mon bonheur de faire celui d’un Athénien que je regarde comme votre fils. Pleine de ma félicité, transportée d’une douce joie, que mon coeur ne pouvait contenir, j’ai confié cet état délicieux de mon âme à Xantippe votre femme, et aussitôt cet état a disparu. Elle m’a traitée de visionnaire. Elle m’a montré le testament de mon père, qui est mort dans la pauvreté, qui ne me laisse rien, et qui me recommande à l’amitié dont vous fûtes unis. En ce moment, éveillée après mon songe, je n’ai senti que la douleur de ne pouvoir faire la fortune de Sophronime : je ne veux point l’accabler du poids de ma misère.