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en vous des sentiments dangereux, et je sais trop qui vous les a inspirés. Sachez que Cérès, dont je suis le grand-prêtre, peut vous punir d’avoir méprisé son culte et son ministre.

AGLAÉ.

Je ne méprise ni l’un ni l’autre. On m’a dit que Cérès préside aux blés ; je le veux croire : mais elle ne se mêlera pas de mon mariage.

ANITUS.

Elle se mêle de tout. Vous en savez trop : mais enfin j’espère vous convertir. Êtes-vous bien résolue à ne point épouser Sophronime ?

AGLAÉ.

Oui, j’y suis très résolue ; et j’en suis très fâchée.

ANITUS.

Je ne comprends rien à toutes ces contradictions. Écoutez : je vous aime ; j’ai voulu faire votre bonheur, et vous placer dans un haut rang. Croyez-moi, ne m’offensez pas, ne rejetez point votre fortune ; songez qu’il faut sacrifier tout à un établissement avantageux ; que la jeunesse passe, et que la fortune reste ; que les richesses et les honneurs doivent être votre unique but ; que je vous parle de la part des dieux et des déesses. Je vous conjure d’y faire réflexion. Adieu, ma chère fille : je vais prier Cérès qu’elle vous inspire, et j’espère encore qu’elle touchera votre coeur. Adieu encore une fois : souvenez-vous que vous m’avez promis de ne point épouser Sophronime.

AGLAÉ.

C’est à moi que je l’ai promis, non à vous.

Anitus sort.
AGLAÉ.
Aglaé seule.

Que cet homme redouble mon chagrin ! Je ne sais pourquoi je ne vois jamais ce prêtre sans frémir. Mais voici Sophronime : hélas ! Tandis que son rival me remplit de terreur, celui-ci redouble mes regrets et mon attendrissement.


Scène V.

Aglaé, Sophronime.
SOPHRONIME.

Chère Aglaé, je vois Anitus, ce prêtre de Cérès, ce méchant homme, cet ennemi juré de Socrate, sortir d’auprès de vous, et vos yeux semblent mouillés de quelques larmes.