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Quoi ! Lorsque envers vous-même il s’est rendu coupable ;
Lorsque sa cruauté, par un barbare effort,
Vous arrachant un fils, l’a conduit à la mort !

idamé

Il eut une vertu, seigneur, que je révère :
Il pensait en héros, je n’agissais qu’en mère ;
Et, si j’étais injuste assez pour le haïr,
Je me respecte assez pour ne le point trahir.

gengis

Tout m’étonne dans vous, mais aussi tout m’outrage :
J’adore avec dépit cet excès de courage ;
Je vous aime encore plus quand vous me résistez :
Vous subjuguez mon cœur, et vous le révoltez.
Redoutez-moi ; sachez que, malgré ma faiblesse,
Ma fureur peut aller plus loin que ma tendresse.

idamé

Je sais qu’ici tout tremble ou périt sous vos coups :
Les lois vivent encore, et l’emportent sur vous[1].

gengis

Les lois ! Il n’en est plus : quelle erreur obstinée
Ose les alléguer contre ma destinée ?
Il n’est ici de lois que celles de mon cœur,
Celles d’un souverain, d’un scythe, d’un vainqueur :
Les lois que vous suivez m’ont été trop fatales.
Oui, lorsque dans ces lieux nos fortunes égales,
Nos sentiments, nos cœurs l’un vers l’autre emportés
(Car je le crois ainsi malgré vos cruautés),
Quand tout nous unissait, vos lois, que je déteste,
Ordonnèrent ma honte et votre hymen funeste.
Je les anéantis, je parle, c’est assez :
Imitez l’univers, madame ; obéissez.
Vos mœurs, que vous vantez, vos usages austères,
Sont un crime à mes yeux, quand ils me sont contraires.
Mes ordres sont donnés, et votre indigne époux
Doit remettre en mes mains votre empereur et vous :

  1. À ce vers les comédiens avaient substitué :
    Mon devoir et ma loi sont au-dessus de vous.

    « Je ne peux pas concevoir, écrit Voltaire à Mlle Clairon, comment on a pu ôter de votre rôle ce vers au quatrième acte. C’est assurément un des moins
    mauvais de la pièce. » — On avait changé ce vers parce qu’on craignait sans doute la réplique de Gengis : Les lois, il n’en est plus. (G. A.)