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Scène IV.

GENGIS, OCTAR.
gengis

D’où vient que je gémis ? D’où vient que je balance ?
Quel dieu parlait en elle, et prenait sa défense ?
Est-il dans les vertus, est-il dans la beauté
Un pouvoir au-dessus de mon autorité ?
Ah ! Demeurez, Octar ; je me crains, je m’ignore :
Il me faut un ami, je n’en eus point encore ;
Mon cœur en a besoin.

octar

Puisqu’il faut vous parler,
S’il est des ennemis qu’on vous doive immoler,
Si vous voulez couper d’une race odieuse,
Dans ses derniers rameaux, la tige dangereuse,
Précipitez sa perte ; il faut que la rigueur,
Trop nécessaire appui du trône d’un vainqueur,
Frappe sans intervalle un coup sûr et rapide :
C’est un torrent qui passe en son cours homicide ;
Le temps ramène l’ordre et la tranquillité ;
Le peuple se façonne à la docilité ;
De ses premiers malheurs l’image est affaiblie ;
bientôt il les pardonne, et même il les oublie.
Mais lorsque goutte à goutte on fait couler le sang,
Qu’on ferme avec lenteur, et qu’on rouvre le flanc,
Que les jours renaissants ramènent le carnage,
Le désespoir tient lieu de force et de courage,
Et fait d’un peuple faible un peuple d’ennemis,
D’autant plus dangereux qu’ils étaient plus soumis.

gengis

Quoi ! C’est cette Idamé ! Quoi ! C’est là cette esclave !
Quoi ! L’hymen l’a soumise au mortel qui me brave !

octar

Je conçois que pour elle il n’est point de pitié ;
Vous ne lui devez plus que votre inimitié.
Cet amour, dites-vous, qui vous touche pour elle,
Fut d’un feu passager la légère étincelle :
Ses imprudents refus, la colère, et le temps,
En ont éteint dans vous les restes languissants ;