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CATON

Oses-tu te vanter ?…

CESAR

Nous pourrons le punir, mais il faut l’écouter.

CETHEGUS

Parle, Catilina, parle, et force au silence
De tous tes ennemis l’audace et l’éloquence.

CICERON

Romains, où sommes-nous ?

CATILINA

Dans les temps du malheur,
Dans la guerre civile, au milieu de l’horreur,
Parmi l’embrasement qui menace le monde,
Parmi des ennemis qu’il faut que je confonde.
Les neveux de Sylla, séduits par ce grand nom,
Ont osé de Sylla montrer l’ambition.
J’ai vu la liberté dans les cœurs expirante,
Le sénat divisé, Rome dans l’épouvante,
Le désordre en tous lieux, et surtout Cicéron
Semant ici la crainte, ainsi que le soupçon.
Peut-être il plaint les maux dont Rome est affligée :
Il vous parle pour elle ; et moi je l’ai vengée.
Par un coup effrayant je lui prouve aujourd’hui
Que Rome et le sénat me sont plus chers qu’à lui.
Sachez que Nonnius était l’âme invisible,
L’esprit qui gouvernait ce grand corps si terrible,
Ce corps de conjurés qui, des monts Apennins,
S’étend jusqu’où finit le pouvoir des Romains.
Les moments étaient chers, et les périls extrêmes.
Je l’ai su, j’ai sauvé l’état, Rome, et vous-mêmes.
Ainsi, par un soldat fut puni Spurius[1] ;
Ainsi les Scipions ont immolé Gracchus.
Qui m’osera punir d’un si juste homicide ?

  1. Spurius Mélius était un chevalier romain qui, dans un temps de disette, forma des magasins de grains, et les distribua aux citoyens. Il devint leur idole.
    Le sénat l’accusa d’aspirer à la tyrannie, et, pour opposer à la faveur populaire une autorité redoutable au peuple, on nomma dictateur le célèbre Cincinnatus. Il cita Spurius à son tribunal, et envoya Servilius Ahala, qu’il avait choisi pour général de la cavalerie, sommer l'accusé d’y comparaître. Mélius refusa d’obéir, Servilius le tua, et le dictateur approuva sa conduite. On sait quel fut le sort des Gracques. Catilina s’excuse devant le sénat par des exemples de violence approuvés par le sénat même, et commis pour ses intérêts. (K.)