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J’ai trop chéri le joug où je me suis soumise.
Voilà donc cette paix que je m’étais promise,
Ce repos de l’amour que mon cœur a cherché !
Les dieux m’en ont punie, et me l’ont arraché.
Dès qu’un léger sommeil vient fermer mes paupières,
Je vois Rome embrasée, et des mains meurtrières,
Des supplices, des morts, des fleuves teints de sang ;
De mon père au sénat je vois percer le flanc ;
Vous-même, environne d’une troupe en furie,
Sur des monceaux de morts exhalant votre vie ;
Des torrents de mon sang répandus par vos coups,
Et votre épouse enfin mourante auprès de vous.
Je me lève, je fuis ces images funèbres ;
Je cours, je vous demande au milieu des ténèbres :
Je vous retrouve, hélas ! et vous me replongez
Dans l’abîme des maux qui me sont présagés.

CATILINA.

Allez, Catilina ne craint point les augures ;
Et je veux du courage, et non pas des murmures,
Quand je sers et l’état, et vous, et mes amis.

AURELIE.

Ah ! cruel ! est-ce ainsi que l’on sert son pays ?
J’ignore à quels desseins ta fureur s’est portée ;
S’ils étaient généreux, tu m’aurais consultée[1] :
Nos communs intérêts semblaient te l’ordonner :
Si tu feins avec moi, je dois tout soupçonner.
Tu te perdras : déjà ta conduite est suspecte
A ce consul sévère, et que Rome respecte.

CATILINA.

Cicéron respecté ! lui, mon lâche rival !



Scène 4

Aurélie, Catilina, Martian, l’un des conjurés


MARTIAN.

Seigneur, Cicéron vient près de ce lieu fatal ;

  1. «Aurèlie, dit Voltaire à propos de ces deux vers, est tendre, mais elle est femme. Elle s’anime par degrés ; elle aime, mais en femme vertueuse; et on sent que, dans le fond, elle impose un peu à Catilina, tout impitoyable qu’il est, etc. » — Comparez la scène entre Portia et Brutus, dans le Jules César de Shakespeare. Celle—ci n’en est qu'une imitation. (G. A.)