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186 DISSERTATION

Quel art n’y a-t-il pas encore à faire paraître les Euniénides avant le crime d’Oreste, comme les divinités vengeresses du meurtre d’Agamemnon, et comme les avant-courtières du crime que son fils va commettre ? Cela me paraît très-conforme aux idées de l’antiquité, quoique très-neuf ; c’est inventer comme les anciens l’auraient fait, s’ils avaient été obligés d’adoucir le crime d’Oreste ; au lieu que, dans Euripide et dans Eschyle, Oreste est livré aux furies parce qu’il a tué sa mère ; ici Oreste ne tue sa mère que parce qu’il est livré aux furies ; et.il leur est livré parce ({u’il a désobéi aux dieux en se découvrant à sa sœur.

Dans quels vers ces Euménides sont évoquées (IV, iv) !

Eumcnides, venez, soyez ici mes dieux ;

Accourez de l’enfer en ces horribles heux,

Dans ces lieux plus cruels et plus remplis de crimes

Que vos gouffres profonds regorgeant de victimes.

Filles de la vengeance, armez-vous, armez-moi…

Les voici ; je les vois, et les vois sans terreur :

L’aspect de mes tyrans m’inspirait plus d’horreur, etc.

L’auteur de la tragédie d’Oreste a sans doute eu tort de trgnquer la scène de l’urne. Il est vrai qu’un excès de délicatesse empêche quelquefois de goûter et de sentir des morceaux d’une aussi grande force, et des traits aussi mâles et aussi sublimes. Prèsde cinquante versdelamentations auraient peut-être paru des longueurs à une nation impatiente, et (jui n’est pas accoutumée aux longues tirades des scènes grecques. Cependant l’auteur a perdu le plus beau et l’endroit le plus pathétique de la pièce. À la vérité, il a tâché d’y suppléer par une beauté neuve. L’urne contient, selon lui, les cendres de Plistène, fils d’Égisthe ; ce n’est point une urne vide et postiche. La mort d’Agamemnon est déjà à moitié vengée. Le tyran va tenir cet horrible présent de la main de son plus cruel ennemi ; présent qui inspire et la terreur dans le cœur du spectateur qui est au fait, et la douleur dans celui d’ÉlecIre qui n’y est pas. Il faut avouer aussi que la coutume des anciens de recueillir les cendres des morts, et principalement de ceux qu’ils aimaient le plus tendrement, rendait cette scène infiniment plus touchante pour eux « ne pour nous. Il a fallu suppléer au pathétique qu’ils y trouvaient par la terreur que doit inspirer la vue des cendres de Plistène, première victime de la vengeance d’Oreste. D’ailleurs la situation de l’urne dans les mains d’ftlectre produit un coup de théâtre à l’arrivée d’Égisthe et de Clytemnestre. La douleur même et lès fureurs d’Electre persuadent le tyran de la vérité de ce que Pammène vient de lui annoncer.

Le nouvel auteur s’est bien gardé de faire un long récit de la mort d’Oreste en présence d’Égisthe ; ce récit aurait eu, dans notre langue et suivant nos mœurs, tous les défauts que les détracteurs de l’antiquité osent reprocher à celui de Sophocle. Le nouvel auteur suppose qu’Oreste et l’étranger se sont vus à Delphes. « Aisément, dit Pylade (III, vi), les malheureux s’unissent ; trop promptement liés, promptement ils s’aigrissent. » Oreste a dit plus haut à Égisthe qu’il s’est vengé sans implorer le secours des rois.