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SUR L’ELECTRE DE SOPHOCLE. 477

ennemis aux dieux mômes ? » Oresle, déterminé, dit à sa mère : « C’est à vous-même, et non pas à moi, que vous devez attribuer votre mort, n

Quoi de plus réfléciii, de plus dur, et de plus cruel ? Il n’y a point d’oracle de destinée, qui put diminuer sur notre théâtre l’atrocité de cette action el de ce spectacle ^ : aussi Oreste a beau se disculper, faire son apologie, et rejeter le crime sur l’oracle et sur la menace d’Apollon, les chiens irrilés de sa mère l’environnent et le déchirent.

Electre n’est point amoureuse chez les trois tragiques grecs : en voici les raisons. Les caractères étaient constatés et comme consacrés dans les tragédies d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, parce que les caractères étaient constatés chez les anciens. Ils ne s’écartaient jamais de l’opinion reçue : Sit Medea ferox inviclaque (Horace, Art, poél., \t^). Electre ne pouvait pas plus être amoureuse que Polyxène et Iphigénie ne pouvaient être coquettes ; Médée, douce et compatissante ; Antigone, faible et timide. Les sentiments étaient toujours conformes aux personnages et aux situations. Un mot de tendresse dans la bouche d’Electre aurait fait tomber la plus belle pièce du monde, parce que ce mot aurait été contre le caractère distinctif et la situation terrible de la fille d’Agameranon, qui ne doit respirer que la vengeance.

Que dirait-on parmi nous d’un poëte qui ferait agir et parler Louis XH comme un tyran, Henri IV comme un lâche, Charlemagne comme un imbécile, saint Louis comme un impie ? Quelque belle que la pièce fût d’ailleurs, je doute que le parterre eut la patience d’écouter jusqu’au bout. Pourquoi Electre, amoureuse, aurait-elle eu un meilleur succès à Athènes ?

Les sentiments doucereux, les intrigues amoureuses, les transports de jalousie, les serments indiscrets de s’aimer toute la vie malgré les dieux et les hommes, tout ce verbiage langoureux, qui déshonore souvent notre théâtre, était inconnu des Grecs. La correction des mœurs était le but principal de leur théâtre. Pour y réussir, ils voulurent monter à la source de toutes les passions et de tous les sentiments. Loin de rencontrer l’amour sur leur route, ils y trouvèrent la terreur et la compassion. Ces deux sentiments leur parurent les plus vifs de tous ceux dont le cœur humain est susceptible. Mais la terreur et l’attendrissement, portés à l’excès, précipitent indubitablement les hommes dans les plus grands crimes et dans les plus grands malheurs. Les Grecs entreprirent de corriger l’un et l’autre, et de les corriger l’un par l’autre.

La crainte non corrigée, non épurée, pour me servir du terme d’Aristote, nous fait regarder comme des maux insupportables les événements fâcheux de la vie, les disgrâces imprévues, la douleur, l’exil, la perte des biens, des amis, des parents, des couronnes, de la liberté, et do la vie. La

1. Dans l’édition do 1750 il y a : « … de ce spectacle. Cette courte analyse dos deux pièces, etc. » L’addition est de 1757. (B.)

V. — TlIKATHE. IV, 12