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SUR L’ÉLECTKE DE SOPHOCLE. 173

scène, et pour y recevoir la mort ? Quel personnage que celui d’un roi qui ne vient que pour mourir ! Cependant il ne semble pas absolument nécessaire qu’Égisthe paiaisse plus tôt. Le poiHe inspire tant de terreur dans le cours de la pièce, qu’il n’a pas besoin d’introduire plus tôt un personnage qui ne produirait que de l’horreur, qui nuirait à son plan, ou qui du moins serait inutile.

Quant à l’atrocité de la catastrophe, elle paraît horrible dans nos mœurs ; elle n’était que terrible dans celles des Grecs. C’était un fait avoué de tout le monde quOreste avait tué sa mère d’un propos délibéré, pour venger le meurtre de son père. Il n’était pas permis de déguiser ni de changer une fable universellement reçué, c’était même ce qui faisait tout le grand tragique, tout le terrible de cette action ^ : aussi voit-on qu’Eschyle et Euripide ont exactement suivi, comme Sophocle, l’histoire consacrée. Il me semble même que la mort de Ch temnestre. tuée par son fils, est en un sens moins atroce, et sans contredit beaucoup plus théâtrale et plus tragi(iue que le meurtre de Camille commis par Horace.

Elle me paraît moins atroce, en ce que Camille est innocente, et Clytemnestre est coupable du plus grand des crimes ; crime dont elle se glorifie quelquefois, et dont elle n’a qu’un léger repentir : en cela, elle mérite infiniment plus d’être punie que Camille, qui regrette son amant et dont tout le crime ne consiste qu’en des paroles trop dures que lui arrache l’excès de sa douleur.

Elle est plus théâtrale, en ce qu’elle fait le vrai sujet de la pièce ; car cette mort est préparée et attendue ; et celle de Camille, dans les Horaces, n’est qu’un événement imprévu, qui pouvait ne pas arriver, qui ne fait qu’une double action vicieuse, et un cinf|uième acte inutile, qui devient lui-même une triple action dans la pièce Il n’y a qu’une seule action au contraire dans Sophocle, la punition des deux époux étant le seul sujet de la pièce. C’est cette unité qui contribuait tant au pathétique de la catastrophe. Quoi de plus pathétique en effet que ces cris de Clytemnestre : « Omon fils ! mon fils ! ayez pitié de celle qui vous a mis au monde ! »

tO TiV.VOV, TSX/CV,

Oï/.reiîs Trv ti/.vja’j : !.

On frémissait à cette terrible ([uoique juste réponse d’Electre : « Mais, vous-même, avez-vous eu pitié de son père et de lui ? »

AXX’c’j/. £/C aï’ÔEv

1. Il faut que Clytemnestre soit tuée par Oreste. Aristot., de Poet., c. xv. Xote de Voltaire.)

2. Un des principaux objets du poëme dramatique est d’apprendre aux lio’iinies à ménager leur compassion pour des sujets qui le méritent ; car il y a do l’injustice d’être trop touche des malheurs de ceux qui méritent d’être misérables. On doit voir sans pitié, dit le P. Rapiii, Clytemnestre tuée par son fils Orosie, dans Eschyle, parce qu’elle avait tué son époux ; et l’on ne peut voir sans compassion mourir Hippolyte, parce qu’il ne meurt que pour avoir été sape et vertueux. (Voyez Réflexions sur la Poétique.) {Note de Voltaire, ajoutée en 17.j7.)