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toutes les situations où l’on se trouve. Ces deux vers de l’abbé de Chaulieu[1] :


Bonne ou mauvaise santé
Fait notre philosophie,


resteront éternellement, parce qu’il n’y a personne qui n’en éprouve la vérité.

Ce que vous me mandez de Mme de La Vallière m’étonne et m’afflige ; mais si elle n’est que faible, il y a du remède. Le vin n’a été inventé que pour donner de la force. Je conçois que son état vous attriste ; vous n’avez point, dites-vous, de courage : cela veut dire que vous êtes sensible, car le courage de voir périr autour de soi, sans s’émouvoir, toutes les personnes avec lesquelles on a vécu, est la qualité d’un monstre ou d’un bloc de pierre de roche. Je fais grand cas de votre faiblesse ; tant qu’on est sensible, on a de la vie. Puissiez-vous, madame, avoir longtemps cette faiblesse d’âme dont vous vous plaignez ! Je mourrai sans avoir eu la consolation de m’entretenir avec vous ; c’est là ma grande douleur et ma grande faiblesse.

Mon âme (s’il y en a une) aime tendrement la vôtre ; mais à quoi cela sert-il ?


à catherine ii,

IMPÉRATRICE DE RUSSIE.


À Ferney, 1er novembre.


Madame, je vois par la lettre du 26 septembre, dont Votre Majesté impériale m’honore, que Diderot est tombé malade sur les frontières de la Hollande. Je me flatte qu’il est actuellement à vos pieds ; vous avez plus d’un Français enthousiaste de votre gloire. S’il y en a quelques-uns qui sont pour Moustapha, j’ose croire que ceux qui sont dévots à sainte Catherine valent bien ceux qui se sont faits Turcs. Il est vrai que Diderot et moi nous n’entrons point dans des villes par un trou[2] comme des étourdis : nous ne nous faisons point prendre prisonniers commedes sots; nous ne nous mêlons point de l’artillerie, où nous n’entendons rien. Nous sommes des missionnaires laïques qui prêchons le culte de sainte Catherine, et nous pouvons nous vanter que notre église est assez universelle.

  1. Voltaire a plusieurs fois cité ce passage de l’ode de Chaulieu sur sa première attaque de goutte.
  2. Voyez lettre 8490.