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CORRESPONDANCE.

Pouvais-je d’ailleurs aimer bien tendrement ceux qui avaient trempé leurs mains dans le sang innocent du chevalier de La Barre ? et des décemvirs insolents contre lesquels on ne pouvait jamais obtenir la moindre justice devaient-ils être si chers à la nation ?

Des amis de M. le duc de Choiseul disent que je lui ai manqué en me déclarant pour le parlement nouveau. Mais quel rapport, s’il vous plaît, entre M. le duc de Choiseul et cette troupe de bourgeois séditieux que j’ai toujours eus en horreur ?

Je vous prie très-instamment de tâcher de l’aire parvenir à M. le duc de Choiseul tous les sentiments de respect, d’attachement et de reconnaissance dont je suis pénétré pour lui. Vous le pouvez très-aisément, soit par M. le duc de Praslin, soit par quelque autre voie, sans vous compromettre. Je serai certainement dévoué à M. le duc de Choiseul jusqu’au dernier moment de ma vie, quand même Mme du Deffant s’imaginerait que je suis ingrat. Cette idée pénètre mon cœur sensible. J’aime M. le duc de Choiseul autant que je hais l’ancien parlement, et je voudrais que tout le monde le sût.

J’ai pour vous des sentiments encore plus tendres comme de raison. Il faut que les plus anciens amis soient toujours les premiers dans le cœur, comme ils sont les premiers en date. V.


8463. — MADAME DE SAINT-JULIEN.
Ferney, 22 janvier.

Le vieillard, madame, que vous honorez de tant de bontés, vous parlera aussi librement dans sa lettre que s’il avait le bonheur de vous entretenir au coin du feu. Nous n’avons, vous et moi, que des sentiments honnêtes : on peut les confier au papier encore mieux qu’à l’air, qui les emporte dans une conversation qui s’oublie.

Un petit mot, glissé dans votre lettre, que M. Dupuits m’a apportée, m’oblige de vous ouvrir tout mon cœur.

Je dois à M. le duc de Choiseul la reconnaissance la plus inviolable de tous les plaisirs qu’il m’a faits. Je me croirais un monstre si je cessais de l’aimer passionnément. Je suis aussi sensible à l’âge de près de quatre-vingts ans qu’à vingt-cinq.


Je ne dois pas bénir la mémoire de l’ancien parlement comme je dois chérir et respecter votre parent, votre ami de Chanteloup. Il était difficile de ne pas haïr une faction plus insolente que la faction des Seize.