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CORRESPONDANCE.

Il me paraît qu’on maltraite un peu en France les pensées et les bourses. On craint l’exportation du blé et l’importation des idées. Platon dit que les âmes avaient autrefois des ailes ; je crois qu’elles en ont encore aujourd’hui, mais on nous les rogne.

Pour les ailes qui ont élevé l’auteur du Système de la Nature, il me paraît qu’elles ne l’ont conduit que dans le chaos. Non-seulement ce livre fera un tort irréparable à la littérature, et rendra les philosophes odieux, mais il rendra la philosophie ridicule. Qu’est-ce qu’un système fondé sur les anguilles de Needham ? quel excès d’ignorance, de turpitude, et d’impertinence, de dire froidement qu’on fait des animaux avec de la farine de seigle ergoté ! il est très-imprudent de prêcher l’athéisme ; mais il ne fallait pas du moins tenir son école aux Petites-Maisons.


Ma foi, juge et plaideurs, il faudrait tout lier.

(Racine, les Plaideurs, acte I, scène viii.)

Voilà ce que je dis toujours, et sauve qui peut ! et sur ce je vous embrasse tendrement ainsi font tous ceux qui habitent Ferney.

8036. — À M. NECKER.
À Ferney.

Présentez, mon cher philosophe, je vous en supplie, mes respects et mes remerciements à la belle philosophe[1] qui vous a écrit en ma faveur. Dites-lui que ce cœur, qui est couvert d’une peau assez mince, et que M. Pigalle a laissé entrevoir comme derrière un rideau d’étamine jaune, est entièrement à elle. Je le lui dirai sans doute moi-même, dès que je pourrai écrire. En attendant, suppliez-la de me permettre d’être de la communion de Cicéron, qui examinait les choses et qui en doutait. Plus j’avance en âge, et plus je doute. Mais ne doutez, je vous prie, ni de la sincère estime ni de la véritable amitié du vieux malade de Ferney.

8037. — À MADAME LA COMTESSE DE ROCHEFORT.
Ferney.

Vous avez été attaquée dans votre foie, madame, et vous avez été saignée trois fois ; M. d’Alembert, qui a été votre garde-ma-

  1. Mme d’Épinai.