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tant de bien : il y a trente ans que je l’ai oubiée. Il plut alors au public de la condamner ; il plaît au public d’aujourd’hui de l’applaudir, et il me plaît à moi de rire de ces inconstances. J’ai prié qu’on m’envoyât une copie de cette pièce, car je veux aussi juger à mon tour.

J’ai ici un jeune dragon nommé M. de Pezay[1], qui fait des vers tout pleins d’esprit et d’images. Il m’en a apporté de son ami M. Dorat, avec qui il loge à Paris ; ce M. Dorat en fait aussi de charmants : cela ragaillardit ma vieillesse, que M. Damilaville soutient par sa philosophie. Je me trouve entre la raison et les grâces ; vous ne seriez pas de trop assurément dans cette bonne compagnie-là.

Quand il y aura quelque chose qui sera digne que vous en parliez, je vous prie de ne pas m’oublier, et surtout de me dire comment votre santé se trouve des approches de l’hiver.

Avez-vous fait le mariage dont vous me parliez[2] ? Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.


6127. — À M. LE CLERC DE MONTMERCY[3].
4 octobre.

Mon philosophe voyageur[4], monsieur, vous dira combien je suis touché de la sensibilité que vous ne cessez de me témoigner. Il part bientôt, il mettra ma lettre à la poste en chemin, ou il vous la fera tenir à son arrivée à Paris. Il m’excusera auprès de vous d’avoir resté aussi longtemps sans vous répondre. Vous excuserez ma vieillesse et ma langueur dont il a été témoin. Il pourra vous dire aussi que je ne suis pas de ces vieillards qui, ne pouvant avoir de plaisir, ne veulent pas qu’on en ait chez eux. Je ne digère point, mais je veux que les autres fassent bonne chère. Je ne joue plus la comédie, mais je veux qu’on la joue ; enfin je veux qu’on fasse tout ce que je ne fais pas.

J’aurais voulu que vous eussiez pu venir avec M. Damilaville ; et quand votre loisir vous le permettra, vous me ferez un grand plaisir de venir philosopher avec moi. Nous prendrions tous les arrangements nécessaires pour votre voyage.

  1. Alexandre-Frédéric-Jacques Masson, marquis de Pezay, né à Versailles en 1741, mort prés de blois le 6 décembre 1777.
  2. Voyez la lettre 6098.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.
  4. Damilaville.