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ANNÉE 1766.

des articles. Cette maison de Moylan dont vous me parlez, proche de Clèves, a été ruinée par les Français, et, autant que je me le rappelle, elle a été donnée en propriété à quelqu’un qui s’est engagé à la rétablir pour son usage. Les fermes que j’ai en ce pays-là s’amodient, et je ne saurais passer un contrat avec un autre fermier qu’après que l’échéance du bail sera terminée.

Cela n’empêchera pas que votre colonie ne s’établisse, et je crois que le moyen le plus simple serait que ces gens envoyassent quelqu’un à Clèves pour voir ce qui serait à leur convenance, et de quoi je puis disposer en leur faveur. Ce sera le moyen le plus court, et qui abrégera tous les malentendus auxquels l’éloignement des lieux et l’ignorance du local pourraient donner lieu.

Je vous félicite de la bonne opinion que vous avez de l’humanité. Pour moi, qui connais beaucoup cette espèce à deux pieds sans plumes, par les devoirs de mon état, je vous prédis que ni vous ni tous les philosophes du monde ne corrigeront le genre humain de la superstition à laquelle il tient. La nature a mis cet ingrédient dans la composition de l’espèce : c’est une crainte, c’est une faiblesse, c’est une crédulité, une précipitation de jugement qui par un penchant ordinaire entraîne les hommes dans le système du merveilleux.

Il est peu d’âmes philosophiques et d’une trempe assez forte pour détruire en elles les profondes racines que les préjugés de l’éducation y ont jetées. Vous en voyez dont le bon sens est détrompé des erreurs populaires, qui se révoltent contre les absurdités, et qui à l’approche de la mort redeviennent superstitieux par crainte, et meurent en capucins ; vous en voyez d’autres dont la façon de penser dépend de leur digestion, bonne ou mauvaise.

Il ne suffit pas, à mon sens, de détromper les hommes ; il faudrait pouvoir leur inspirer le courage d’esprit, ou la sensibilité et la terreur de la mort triompheront des raisonnements les plus forts et les plus méthodiques.

Vous pensez, parce que les quakers et les sociniens ont établi une religion simple, qu’en la simplifiant encore davantage on pourrait sur ce plan fonder une nouvelle croyance. Mais j’en reviens à ce que j’ai déjà dit, et suis presque convaincu que si ce troupeau se trouvait considérable, il enfanterait en peu de temps quelque superstition nouvelle, à moins qu’on ne choisît, pour le composer, que des âmes exemptes de crainte et de faiblesse. Cela ne se trouve pas communément.

Cependant je crois que la voix de la raison, à force de s’élever contre le fanatisme, pourra rendre la race future plus tolérante que celle de notre temps ; et c’est beaucoup gagner.

On vous aura l’obligation d’avoir corrigé les hommes de la plus cruelle, de la plus barbare folie qui les ait possédés, et dont les suites font horreur.

Le fanatisme et la rage de l’ambition ont ruiné des contrées florissantes dans mon pays. Si vous êtes curieux du total des dévastations qui se sont faites, vous saurez qu’en tout j’ai fait rebâtir huit mille maisons en Silé-

    qui y pourraient dire librement la vérité, sans craindre ni ministres, ni prêtre, ni parlements, etc. (K.)