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les Peines[1] par la voie de M. Marin ? L’enveloppe de M. de Sartine n’est-elle pas, dans ces cas-là, une sauvegarde assurée ? On suppose alors, avec raison, que ces livres envoyés au secrétaire de la librairie lui sont adressés pour savoir si on en permettra l’introduction en France. Je ferai ce que vous me prescrirez. Je pourrais me servir de la voie de M. le chevalier de Beauteville, mais je ne l’emploierai qu’en cas que vous trouviez qu’il n’y a point d’inconvénient.

Le livre de Fréret[2] fait beaucoup de bruit. Il en paraît tous les mois quelqu’un de cette espèce. Il y a des gens acharnés contre les préjugés : on ne leur fera pas lâcher prise : chaque secte a ses fanatiques. Je n’ai pas, Dieu merci, ce zèle emporté ; j’attends paisiblement la mort entre mes montagnes, et je n’ai nulle envie de mourir martyr. Je ne veux pas non plus finir comme un citoyen de Genève, extrêmement riche, qui vient de se jeter dans le Rhône parce qu’avec son argent il n’avait pu acheter la santé ; je sais souffrir, et je n’irai dans le Rhône qu’à la dernière extrémité. Je suis assez de l’avis de Mécène[3], qui disait qu’un malade devait se trouver heureux d’être en vie.

Portez-vous bien, mes adorables anges ; il n’y a que cela de bon, parce que cela fait trouver tout bon.

Je voudrais bien savoir ce qu’on dit dans le public de la charlatanerie de Jean-Jacques ; j’ai vu un Thomas[4] sur le Pont-Neuf qui valait beaucoup mieux que lui, et dont on parlait moins. Ne m’oubliez pas, je vous en prie, auprès de M. de Chauvelin, quand vous le verrez.

Recevez mon tendre respect.


6541. — À M. COLINI.
À Ferney, 22 octobre.

Mon cher ami, vous savez que la Renommée a cent bouches, et que, pour une qui dit vrai, il y en a quatre-vingt-dix-neuf qui mentent. Il y a plus de deux ans que je ne suis sorti de la maison ; à peine ai-je pu aller dans le jardin cinq ou six fois. Vous voyez que je n’étais pas trop en état de voyager. Si j’avais pu me traîner quelque part, ç’aurait été assurément aux pieds de votre

  1. Tome XXV, page 539.
  2. L’Examen critique des Apologistes : voyez lettre 6306.
  3. Voyez la note, tome XLII, page 550.
  4. C’était un arracheur de dents, à la fin du xviie siècle.