Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
421
ANNÉE 1766.

de ce jugement-là. Heureusement tous les magistrats ne sont pas aussi absurdes. La cour des aides, qui, à la vérité, est présidée par M. de Malesherbes, vient d’en donner la preuve. Un nommé Broutel, qui, avec les trois ou quatre marauds de la sénéchaussée d’Abbeville, avait principalement influé dans la condamnation de ces malheureux écervelés, a voulu être président de l’élection, qui est un autre tribunal, et qui, ainsi que toute la ville, a pris en horreur les juges de la sénéchaussée : l’élection n’en a point voulu ; il en a appelé à la cour des aides, qui, au rapport de M. Goudin, homme de mérite, instruit, et très-éclairé, a débouté tout d’une voix ce maraud de sa demande. Cette aventure est une faible consolation pour les mânes du pauvre décapité, mais c’en est une pour les gens raisonnables qui ont encore leur tête sur leurs épaules. Je ne sais pas bien exactement si la tête de veau[1] a parlé contre vous à ses confrères les singes ; on prétend au moins qu’il a dit qu’il ne fallait pas s’amuser à brûler des livres, que c’était les auteurs que Dieu demandait en sacrifice : ces tigres voudraient encore nous ramener au temps des druides, qui offraient à leurs dieux des victimes humaines. Vous saurez pourtant que la plupart des conseillers de la classe du parlement de Paris sont honteux de ce jugement, que plusieurs en sont indignés, et le disent à très-haute voix, entre autres le président comte abbé de Guébriant, qui regrette beaucoup de ne s’être pas trouvé ce jour-là à la grand’chambre, et qui est persuadé qu’il lui aurait épargné cette infamie. Vous saurez de plus qu’un conseiller[2] de tournelle, de mes amis et de mes confrères dans l’Académie des sciences, a empêché, il y a peu de temps, que la tournelle ne rendît encore un jugement pareil dans une affaire semblable, et a fait mettre l’accusé hors de cour.

Adieu, mon cher maître ; l’abbé de La Porte, qui fait un almanach des gens de lettres[3], m’a chargé de vous demander à vous-même votre article, contenant votre nom, les titres que vous voulez prendre, ceux de vos ouvrages que vous avouez, ceux même qu’on vous attribue, c’est-à-dire que vous avez faits sans les avouer, etc. Iterum vale.


6495. — À M. DAMILAVILLE.
Du 10 septembre.

Je vous prie, mon cher ami, d’envoyer ce petit billet chez M. de Beaumont. Il m’est venu aujourd’hui deux Hollandais ; j’ai cru que c’étaient les vôtres, mais j’ai été bien vite détrompé. Ô que je voudrais, mon cher ami, vous tenir avec Tonpla ! Je suis accablé des idées les plus tristes. Les injures des hommes

  1. Pasquier.
  2. Dionis du Séjour. (K.)
  3. Un petit volume, publié par Dupoit-Dutertre sous le titre d’Almanach des beaux-arts, prit, en 1755, le titre de France littéraire. L’abbé de La Porte (voyez tome XLI, paire 186) avait coopéré à plusieurs éditions.