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ANNÉE 1766.

Grimm a, sans doute, mandé à Votre Altesse sérénissime comment les singes se sont changés en tigres chez les Welches, et comment le chevalier de La Barre a été condamné à être jeté dans les flammes pour n’avoir pas ôté son chapeau devant une procession de capucins, et pour avoir chanté deux chansons faites sur la Madeleine, il y a plus de quatre-vingts ans.

Ce gentilhomme était le fils d’un lieutenant général des armées, et aurait été un excellent officier ; il n’avait que vingt et un ans ; il est mort avec le courage d’un guerrier et avec la tranquillité de Socrate.

On prétend que le parlement a fait périr ce jeune gentilhomme par le plus horrible supplice, afin de se donner un relief de bon catholique auprès du clergé, qui l’a souvent accusé de sacrifier la religion à son animosité contre quelques évêques partisans des jésuites. C’est ainsi, madame, qu’on se joue de la vie des hommes chez un peuple qui passe (je ne sais pourquoi) pour être poli et humain. Je ne crois pas que, depuis quinze siècles, il se soit passé une seule année où l’Europe chrétienne n’ait vu de pareilles horreurs et de beaucoup plus abominables, toutes produites par la superstition et par le fanatisme ; et puis, on va tranquillement du spectacle de l’échafaud et du bûcher à celui de l’Opéra-Comique. La seule consolation de la manière dont la terre est gouvernée serait d’oublier à vos pieds tout ce qui rend le genre humain si odieux et si méprisable.

Votre Altesse sérénissime est si au-dessus des formules qu’après une telle lettre elle daignera souffrir que je lui présente mon profond respect, sans signer un nom odieux aux fanatiques.


V.

6472. — À M.  LE CLERC DE MONTMERCY.
25 auguste.

Il est vrai que je n’écris guère, mon cher confrère en Apollon. Les horreurs qui déshonorent successivement votre pays m’ont rendu si triste ; il y a si peu de sûreté à la poste, et toutes les consolations sont tellement interdites, que je me suis tenu longtemps dans le silence. Les persécuteurs sont des monstres qui étendent leurs griffes d’un bout du royaume à l’autre ; les persécutés sont dévorés les uns après les autres. S’il y avait un coin de terre où l’on pût cultiver la raison en paix, je vous prierais d’y venir ; et je ne sais encore si vous l’oseriez. Conservez-moi