Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assuré « qu’il n’y eut jamais de père plus tendre et plus indulgent, et qu’il n’avait jamais battu un seul de ses enfants », c’est plutôt une preuve de simplicité de croire cette déposition qu’une preuve de l’innocence des accusés.

Non, ce n’est pas une preuve juridique complète, mais c’est la plus grande des probabilités ; c’est un motif puissant d’examiner, et il ne s’agissait alors, pour M. de Voltaire, que de chercher des motifs qui le déterminassent à entreprendre une affaire si intéressante, dans laquelle il fournit depuis des preuves complètes, qu’il fit recueillir à Toulouse.

Voici quelque chose de plus révoltant encore. M. de Voltaire, chez qui je passai trois mois, auprès de Genève, lorsqu’il entreprit cette affaire, exigea, avant de s’y exposer, que Mme Calas, qu’il savait être une dame très-religieuse, jurât, au nom du Dieu qu’elle adore, que ni son mari ni elle n’étaient coupables. Ce serment était du plus grand poids, car il n’était pas possible que Mme Calas fit un faux serment pour venir à Paris s’exposer au supplice ; elle était hors de cause, rien ne la forçait à faire la démarche hasardeuse de recommencer un procès criminel, dans lequel elle aurait pu succomber. L’auteur des feuilles ne sait pas ce qu’il en coùterait à un cœur qui craint Dieu de se parjurer ; il dit que c’est là un mauvais raisonnement, que « c’est comme si quelqu’un aurait interrogé un des juges qui condamnèrent Calas, etc. »

Peut-on faire une comparaison aussi absurde ? Sans doute le juge fera serment qu’il a jugé suivant sa conscience ; mais cette conscience peut avoir été trompée par de faux indices, au lieu que Mme Calas ne saurait se tromper sur le crime qu’on imputait alors à son mari, et même à elle. Un accusé sait très-bien dans son cœur s’il est coupable ou non ; mais le juge ne peut le savoir que par des indices souvent équivoques. Le faiseur de feuilles a donc raisonné avec autant de sottise que de malignité, car je dois appeler les choses par leur nom.

Il ose nier qu’on ait cru dans le Languedoc que les protestants ont un point de leur secte qui leur permet de « donner la mort à leurs enfants qu’ils soupçonnent de vouloir changer de religion, etc. » ; ce sont les paroles de ce folliculaire.

Il ne sait donc pas que cette accusation fut si publique et si grave que M. Sudre, fameux avocat de Toulouse, dont nous avons un excellent mémoire en faveur de la famille Calas[1], réfute cette erreur populaire, pages 59, 60 et 61 de son factum. Il ne sait donc pas que l’Église de Genève fut obligée d’envoyer à Toulouse une protestation solennelle contre une si horrible accusation.

Il ose plaisanter, dans une affaire aussi importante, sur ce qu’on écrivait à l’ancien gouverneur du Languedoc, et à celui de Provence, pour obtenir, par leur crédit, des informations sur lesquelles on pût compter : que pouvait-on faire de plus sage ?

Je ne dirai rien des petites sottises littéraires que cet homme ajoute

  1. Ce mémoire est celui mentionné sous le n° ii dans la note, tome XXIV, page 365.