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CORRESPONDANCE.

de la vérité était perdue. Ma douleur m’a fait relire ce vieux mémoire à consulter que j’avais entièrement oublié.

Vous voyez évidemment qu’un des articles s’explique par l’autre, et qu’il n’y a que des théologiens qui puissent tronquer un passage d’un auteur pour le condamner. Je vous demande donc justice et réparation d’honneur. Je crois que ce mémoire était si mal griffonné, que ni vous, ni M. le chevalier de Taulès, n’avez lu l’article où je m’explique catégoriquement.

Voilà comme on juge les pauvres auteurs ; voilà comme on a dit à la cour que M. Thomas était athée, parce qu’il a loué monsieur le dauphin de n’être pas persécuteur ; on n’a ni la justice ni le temps de confronter les passages. Confrontez-moi donc avec moi-même, et vous verrez combien mon cœur est à vous.


6333. — DE M. HENNIN[1].
Genève, le 5 mai 1766.

J’ignorais, monsieur, que le mémoire à consulter fût de vous ; jamais vous ne me l’aviez donné pour tel. Autrement, je ne vous en aurais pas parlé, parce que je suis de ma nature on ne peut pas moins envieux de contester, surtout avec les gens que j’aime et respecte. Permettez-moi cependant de vous dire qu’il n’était pas indifférent que l’explication que vous donnez de la souveraineté des bourgeois fût annoncée dans l’article même qui contient leur principal grief, au lieu d’être rejetée dans le corps de l’ouvrage, et cela est si vrai que, quand je lus cet article à quelques représentants, ils se récrièrent qu’aucun d’eux n’avait jamais avanicé rien de pareil, et qu’ils le désavoueraient comme pouvant faire tort à leur cause. Il est inutile maintenant de vous dire, monsieur, quel sentiment produisit cet ouvrage dans le temps. Je fis en sorte qu’il n’en fût plus parlé ni en France, ni à Genève. Je soutins que vous n’aviez fait au plus qu’y corriger quelques mots. L’arrivée de la médiation a mis cette affaire en oubli, comme bien d’autres.

En voilà trop, monsieur, pour vous rassurer sur l’idée que je puis avoir du mémoire à consulter. Si j’avais cru que cet ouvrage fût de l’auteur de la Henriade, je me serais dit : Un peuple qui crie à l’oppression est sûr d’intéresser, et les cœurs sensibles au bonheur de l’humanité sont facilement disposés à le plaindre. De là à le secourir il n’y a qu’un pas, puis on se passionne, on fait son affaire de celle de ce peuple, on devient partie, on se donne des peines, on s’en prépare.

Les mêmes motifs ont simplifié à vos yeux ce dont on se plaint dans l’affaire des natifs. Je n’ose vous dire, monsieur, combien je suis fâché de

  1. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin, 1825.