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ANNÉE 1766.

amis, qui sont les prêtres de la plus ancienne religion qui soit au monde, mais non pas de la plus raisonnable. Si je pouvais, par votre crédit, avoir le mémoire de Lally et celui des Sirven, vous feriez ma consolation.

Comme je suis extrêmement curieux, je voudrais bien aussi savoir quelque chose de M.  de La Chalotais. Vous me paraissez toujours bien informé. J’ai recours à vous dans les derniers jours où vous serez à Paris. Je suis plus Languedochien que jamais ; mais mon affection ne va pas jusqu’au parlement de Toulouse. Il se forme bien des philosophes dans vos provinces méridionales ; il y en a moins pourtant que de pénitents blancs, bleus, et gris. Le nombre des sots et des fous est toujours le plus grand.

Notre Ferney est devenu charmant tout d’un coup. Tous les alentours se sont embellis ; nous avons, comme dans toutes les églogues, des fleurs, de la verdure et de l’ombrage ; le château est devenu un bâtiment régulier de cent douze pieds de face ; nous avons acquis des bois, nous nageons dans l’utile et dans l’agréable ; il ne manque rien à cette terre que d’être en Picardie. Allez donc à Hornoy, messieurs ; jouissez en paix d’une heureuse tranquillité, buvez quelquefois à ma santé, et puissé-je vous embrasser tous avant de mourir !


6332. — À M.  HENNIN.
À Ferney, 4 mai.

Vous aimez, monsieur, à citer juste ; et moi, qui suis barbouilleur d’histoire, j’aime à citer juste aussi. Vous avez raison quand vous dites qu’il y a un article dans le mémoire à consulter donné aux avocats de Paris[1], lequel qualifie les citoyens de Genève souverains législateurs. Mais aussi je n’ai pas tort quand je dis que, dans le même mémoire, on trouve ces paroles : « On peut considérer que les citoyens et bourgeois sont souverains conjointement avec tous les conseils quand ils sont assemblés en corps de république. »

Ce que vous me dîtes à notre dernière entrevue me laissa, comme vous le croyez bien, le poignard dans le cœur. Je me voyais accusé cruellement par-devant le grand juge des anecdotes, M. le chevalier de Taulès[2] ; toute ma réputation d’amateur

  1. Ce Mémoire était de Voltaire ; voyez la lettre 6191.
  2. Le chevalier de Taulès était secrétaire attaché à l’ambassade de France en Suisse, et avait accompagné en cette qualité le chevalier de Beauteville à Genève.