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ANNÉE 1766.

rois et les peuples s’en trouveront mieux ; les prêtres mêmes y gagneront plus qu’ils ne pensent, car, étant forcés d’être moins fripons et moins fanatiques, ils seront moins haïs et moins méprisés.

Je viens de lire l’article Langue hébraïque[1], suivant votre bon conseil ; il est savant et philosophique. L’auteur n’a pas osé tout dire. Il est incontestable que l’hébreu était anciennement un dialecte de la langue phénicienne. Les Hébreux appelaient la Phénicie le pays des savants ; et une grande preuve qu’ils n’ont jamais habité en Égypte, c’est qu’ils n’ont jamais eu un seul mot égyptien dans leur langue, ou plutôt dans leur misérable jargon.

J’ai lu quelque chose d’une Antiquité dèvoilée[2], ou plutôt très-voilée. L’auteur commence par le déluge, et finit toujours par le chaos. J’aime mieux, mon cher confrère, un seul de vos Contes que tous ces fatras.

Mme  Denis vous fait mille compliments. Je suis bien malade ; je m’affaiblis tous les jours ; je vous aimerai jusqu’au dernier moment de ma vie.


6321. — À M.  DAMILAVILLE.
23 avril.

Le printemps, qui rend la vie aux animaux et aux plantes, nous est donc funeste à l’un et à l’autre, mon cher ami. Nous sommes tous deux malades ; consolons-nous tous deux. Voilà déjà du baume mis dans votre sang, par la liberté qu’on donne à l’Encyclopédie. Je crois que je renaîtrai quand je recevrai le petit ballot que vous m’annoncez par la diligence de Lyon.

Mlle  Clairon ne remontera donc point sur le théâtre ; mais qui la remplacera ? Tout manque, ou tout tombe.

Il faut avoir le diable au corps pour accuser d’irréligion l’éloquent auteur de l’Èloge du Dauphin ; mais c’est un grand bonheur, à mon gré, qu’on voie évidemment que, dès qu’un homme d’esprit n’est pas fanatique, les bigots l’accusent d’être athée. Plus la calomnie est absurde, plus elle se décrédite. On doit toujours se souvenir que Descartes et Gassendi ont essuyé les mêmes reproches. Le monstre du fanatisme, si fatal aux rois et aux

  1. Dans l’Encyclopédie in-folio, cet article est sans signature. Dans l’Encyclopédie méthodique, on dit qu’il est d’un anonyme.
  2. Ouvrage posthume de Boulanger, refait sur le manuscrit original par le baron d’Holbach, avec un précis de la vie de l’auteur, par Diderot ; Amsterdam, M.-M. Rey, 1766, trois volumes in-12.