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si indignement à mon égard a dit à M. le prince Louis[1] qu’il n’avait rien à me repprochor ni pour mes écrits ni pour ma conduite. Le prince Louis voulait aller au roi, qui sûrement ignore cette indignité ; mais il n’en a rien fait, dans la crainte de me nuire auprès du ministre en voulant me servir. Ma seule consolation est de voir que l’Académie, le public, tous les gens de lettres, à l’exception de ceux qui sont l’opprobre de la littérature, ne sont pas moins indignés que vous du traitement que j’éprouve. J’espère que les étrangers joindront leurs cris à ceux de la France ; et je vous prie de ne laisser ignorer à aucun de ceux que vous verrez le nouveau genre de persécution qu’on exerce contre les lettres.

Adieu, mon cher et illustre confrère ; je suis très-sensible à l’amitié que vous me témoignez ; je crois la mériter un peu par mes sentiments pour vous. J’oublie de vous dire que j’ai écrit au ministre une lettre simple et convenable, sans bassesse et sans insolence, et que je n’en ai pas eu plus de réponse que l’Académie. Si on attend que je fasse d’autres démarches, on attendra longtemps.


6055. — À M.  LE MARQUIS DE VILLETTE.
Juin.

Je crois, mon cher marquis, vous avoir déjà dit[2] de quelle manière il faut m’adresser vos lettres ; sans cela, vous courez risque d’avoir plus d’un confident de vos secrets.

Vous me parlez de la retraite précipitée du ministre[3] ; on peut dire qu’il a soutenu les caprices de la Fortune comme il a reçu ses caresses. Il n’y a pas moins de grandeur à supporter de grandes injustices qu’à faire de grandes actions.

C’est un puissant raisonneur celui qui vous disait sérieusement que M…[4] n’était pas de famille à être contrôleur général ; mais lorsque l’on est sur un vaisseau assailli par la tempête et dans un danger imminent de périr, on ne choisit pas, pour tenir le gouvernail, celui qui est de meilleure maison, mais celui qui est le plus habile.

Ce que vous me dites du prélat harangueur m’a étonné et affligé : car on m’avait flatté que, dans une espèce de sermon à son assemblée, il avait prêché la tolérance. Sa sortie contre les

  1. L.-R.-E. de Rohan ; voyez tome XLI, page 403.
  2. Il ne le lui avait pas encore dit, ou la lettre est perdue.
  3. M. de Choiseul. C’était une fausse nouvelle.
  4. Le contrôleur général était alors Laverdy. Il est probable que c’est son nom qui devait se trouver ici. Il vivait encore lorsque cet alinéa fut imprimé, en 1788, dans les Œuvres du marquis de Villette. Ses successeurs sous Louis XV étaient déjà tous morts.