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ment la préférence sur moi ; mais, quand vous voudrez partager vos faveurs, j’en aurai toute la reconnaissance possible. Vous me trouverez peut-être encore bien malade : mais vous trouverez chez moi tout ce qui reste de la famille de Corneille, père, fille, et petite-fille ; vous trouverez Mme Denis, ma nièce, qui récite des vers comme vous en faites, car je vous avertis qu’il y en a d’extrêmement beaux dans votre Virginie. Nous raisonnerons de tout cela quand j’aurai la force de raisonner ; il n’en faut pas pour vous aimer, cela ne coûte aucun effort. Je vous attends, et je vous recevrai comme je vous écris, sans cérémonie.


6252. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
1er février.

Sire, je vous fais très-tard mes remerciements ; mais c’est que j’ai été sur le point de ne vous en faire jamais aucun. Ce rude hiver m’a presque tué ; j’étais tout près d’aller trouver Bayle, et de le féliciter d’avoir eu un éditeur[1] qui a encore plus de réputation que lui dans plus d’un genre ; il aurait sûrement plaisanté avec moi de ce que Votre Majesté en a usé avec lui comme Jurieu ; elle a tronqué l’article David. Je vois bien qu’on a imprimé l’ouvrage sur la seconde édition de Bayle[2]. C’est bien dommage de ne pas rendre à ce David toute la justice qui lui est due ; c’était un abominable Juif, lui et ses psaumes. Je connais un roi plus puissant que lui et plus généreux, qui, à mon gré, fait de meilleurs vers. Celui-là ne fait point danser les collines comme des béliers, et les béliers comme des collines[3]. Il ne dit point qu’il faut écraser les petits enfants contre la muraille[4], au nom du

  1. Il venait de paraître un Extrait du Dictionnaire de Bayle avec une préface, Berne (Berlin), 1766, deux volumes in-8o. C’est un choix des Articles les plus philosophiques dans lesquels M. Bayle a supérieurement réussi. Ce choix avait été fait par Frédéric, auteur de la préface intitulée Avant-propos, et qui est le panégyrique de Bayle.
  2. On sait que Bayle donna, dans l’édition de 1697 de son Dictionnaire, un article David qui scandalisa le consistoire de Rotterdam, et que l’auteur corrigea dans son édition de 1702. Les corrections consistaient en additions et suppressions. L’édition de 1715 contient la version de 1697. Les deux textes se retrouvent dans les éditions postérieures à 1715. Il est assez singulier que le roi de Prusse ait donné la version de 1702, qui n’est, pas la curieuse. Dans sa lettre à Voltaire du 25 novembre 1766, Frédéric promet que dans la seconde édition de son Extrait on restituera le bon article David. On n’en a rien fait, si j’en juge d’après les réimpressions de 1780 et 1789, que j’ai sous les yeux. (B.)
  3. Psaume cxiii, verset 4.
  4. Psaume cxxvi, verset 9.