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à la bienséance que les citoyens ont gardée dans toutes leurs démarches.

On exagère tout, on falsifie tout, on m’attribue tous les jours des ouvrages que je n’ai jamais vus, et que je ne lirai point. Je me suis résigné à la destinée des gens de lettres un peu célèbres, qui est d’être calomniés toute leur vie.

Adieu, mon cher frère ; conservez votre santé. M. Boursier m’a mandé qu’il vous avait écrit[1].

Je crois qu’Helvétius a dû être bien étonné du prix que Jean-Jacques a mis à sa communion huguenote[2].


6199. — DE M. HENNIN[3].
Genève, 25 décembre 1765.

Je vous avais promis, monsieur, ou je m’étais promis à moi-même d’aller finir avec vous cette journée ou celle de demain, si demain y a quand minuit sonne. Au lieu de cela, je suis obligé d’habiter encore l’alcôve jonquille de Mme de Montpéroux. Son aspect ne donne pas de mauvaises pensées, puisqu’il me rappelle Ferney et ses aimables habitants. Je suis bien fâché d’être dans l’impossibilité de les joindre de quelques jours. On me démeuble ; on vendit hier la marmite dans laquelle bouillait ma soupe, demain le lit que j’occupe sera mis à l’enchère, et il faudra le disputer à quelque belle dame qui n’aurait pas la charité de m’en offrir la moitié. Puis viendront les fauteuils, qu’on ne me cédera pas volontiers, et il serait peu convenable qu’un résident de France reçût les gens comme le roi d’Anamabou. Vous voyez donc, monsieur, que tant que ces embarras dureront, il me sera impossible d’aller vous voir et de vous entretenir plus au long que je n’ai pu le faire la dernière fois.

J’ai bien perdu des paroles pour persuader à quelques bourgeois que, par plusieurs raisons, il fallait élire leurs magistrats. Ils m’en ont allégué beaucoup d’autres pour me prouver que c’était une chose impossible. Le temps des conversions est passé ; nous sommes restés chacun dans notre sentiment.

Comme je lisais ce soir quelques nouveautés, on m’a annoncé M. Covelle[4]. Son maintien, son éloquence, Mlle Ferbot, le consistoire, l’héroïsme patriotique, ont fait en moi une commotion que je n’essayerai pas de vous rendre. Jamais je n’ai eu tant de peine à m’empêcher de rire. Il a eu grand soin, monsieur, de se réclamer de vous, d’où j’ai auguré que la politique était son

  1. C’est la lettre 6193.
  2. Voyez une note sur la lettre 6098.
  3. Correspondance inédite de Voltaire avec P. -M. Hennin, 1825.
  4. Robert Covelle, héros du poëme de Voltaire intitulé la Guerre civile de Genève. Voyez tome IX.