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beau-fils[1]. Si vous rencontrez quelque évêque, dites-lui qu’il ne m’excommunie point ; si vous rencontrez quelque conseiller du parlement, dites-lui qu’il ne me brûle point au pied du grand escalier (comme la lettre circulaire de l’évêque de Reims), en présence de maître Dagobert Ysabeau[2].

Adieu, monsieur ; je vous embrasse, vous et madame votre femme, sans cérémonie, et de tout mon cœur.


6146. — À M.  DE LA BORDE[3],
premier valet de chambre du roi.
À Ferney, 4 novembre.

Savez-vous, monsieur, combien votre lettre me fait d’honneur et de plaisir ? Voici donc le temps où les morts ressuscitent. On vient de rendre la vie à je ne sais quelle Adélaïde, enterrée depuis plus de trente ans ; vous voulez en faire autant à Pandore[4] ; il ne me manque plus que de me rajeunir, mais M. Tronchin ne fera pas ce miracle, et vous viendrez à bout du vôtre. Pandore n’est pas un bon ouvrage, mais il peut produire un beau spectacle, et une musique variée : il est plein de duos, de trios, et de chœurs ; c’est d’ailleurs un opéra philosophique qui devrait être joué devant Bayle et Diderot ; il s’agit de l’origine du mal moral et du mal physique. Jupiter y joue d’ailleurs un assez indigne rôle ; il ne lui manque que deux tonneaux. Un assez médiocre musicien, nommé Rover[5] avait fait presque toute la musique de cette pièce bizarre, lorsqu’il s’avisa de mourir. Vous ne ressusciterez pas ce Royer, vous êtes plutôt homme à l’enterrer.

J’avoue, monsieur, qu’on commence à se lasser du récitatif de Lulli, parce qu’on se lasse de tout, parce qu’on sait par cœur cette belle déclamation notée, parce qu’il y a peu d’acteurs qui sachent y mettre de l’âme ; mais cela n’empêche pas que cette déclamition ne soit le ton de la nature et la plus belle expression de notre langue. Ces récits m’ont toujours paru fort supérieurs

  1. Hornoy.
  2. Dagobert-Étienne Ysabeau ; voyez tome XXV, page 345.
  3. Jean-Benjamin de La Borde, premier valet de chambre de Louis, fermier général à la mort de ce prince, était né en 1734, et mourut sur l’échafaud révolutionnaire le 22 juillet 1794. C’est contre sa famille que l’abbé de Claustre eut un scandaleux procès, dans lequel Voltaire prit la plume ; voyez tome XXVIII, page 77.
  4. J.-B. de La Borde mit en musique cet opéra de Voltaire ; voyez tome III.
  5. Voyez tome XXVIII, page 260.