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pays de Vaud, qui inspire la joie, la gravité serait-elle l’effet du gouvernement ? Comptez que rien n’est plus efficace pour écraser la superstition que le ridicule dont on la couvre. Je ne la confonds point avec la religion, mon cher philosophe. Celle-là est l’objet de la sottise et de l’orgueil, celle-ci est dictée par la sagesse et la raison. La première a toujours produit le trouble et la guerre ; la dernière maintient l’union et la paix. Mon ami Jean-Jacques ne veut point de comédie, et vous ne voulez pas être amusé par des plaisanteries innocentes. Malgré votre sérieux, je vous aime bien tendrement.


5516. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[1].
(père.)
8 janvier 1764, à Ferney.

Mon illustre et respectable magistrat, mes lettres et mon cœur courent après vous depuis un an. Je vous croyais actuellement à Paris, conformément à votre dessein de passer l’hiver dans cette grande ville et le reste de l’année dans votre belle terre. M. le président de Ruffey m’apprend que vous êtes à la Marche. Je vous en félicite, car après tout on n’est bien que chez soi, surtout quand on sait s’y occuper.

Je me plains de la nature, non pas seulement de ce qu’elle m’a fait malade et faible, et qu’elle s’avise à présent de m’ôter presque entièrement l’usage de la vue, mais de ce qu’elle m’empêche de venir vous voir et être témoin des sentiments de votre belle âme dans votre solitude.

Il paraît depuis peu un livre sur la tolérance à propos de l’affaire des Calas[2]. Je voudrais vous l’envoyer, et surtout vous en demander votre sentiment ; faites-moi savoir, je vous prie, par quelle voie je puis vous l’envoyer.

Je m’imagine que dans votre belle retraite vous regardez en pitié toutes les sottises qui agitent le monde et toutes les fautes que font les corps et les particuliers. La sagesse n’habite guère que dans la solitude ; tout ce que je souhaite à cette belle divinité, c’est que l’ennui ne s’introduise pas chez elle.

On dit que vous bâtissez à la ville et à la campagne. Je m’avise d’en faire autant dans ma chaumière ; mais le bonheur n’est pas

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. L’Essai sur la Tolérance.