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cette demi-feuille. Il est minuit, il y a trois heures que je dicte ; je n’en puis plus ; pardonnez-moi de finir sitôt, c’est bien à mon grand regret.


6028. — À M.  BERTRAND.
À Ferney, 25 mai.

Je serai enchanté de vous revoir, mon cher philosophe ; et ce sera une grande consolation pour moi de retrouver nos amis communs. Je vous prie de leur dire à quel point je leur suis dévoué.

Je crois que l’abbé dont vous me parlez[1] se souciera fort peu qu’on le critique : le pauvre diable est mort depuis plusieurs années ; je le crois damné pour avoir osé dire que les Juifs n’étaient pas la première nation du monde ; et vous savez que les damnés ne répondent point aux théologiens. C’était un bien mauvais prêtre que cet abbé ; on dit qu’il a perverti bien du monde. Il avait l’insolence de préférer la morale à la théologie, et de gâter par là l’esprit des jeunes gens. Remercions Dieu, qui nous en a délivrés ; et aimez-moi toujours un peu. V.


6029. — À M.  D’ALEMBERT.
À Genève, 27 mai.

J’ai eu l’honneur de voir M. de Valbelle, mon cher Archimède ; il est bien aimable, comme vous dites. Je ne savais point que l’autre Archimède-Clairaut fût gourmand, et que des indigestions l’eussent tué[2] : ce n’est point ainsi que doit mourir un philosophe. Sa pension vous est dévolue de droit. Peut-être avez-vous quelques ennemis qui vous ont desservi ; je n’en suis point du tout surpris. J’ai des ennemis aussi, moi qui ne vous vaux pas. On m’a dit que l’Académie des sciences, en corps, demande cette pension pour vous ; c’est une démarche qui vous honore autant que vos confrères. Vous me ferez grand plaisir de m’en apprendre le succès, soit par un petit mot de votre main, soit par votre digne ami.

On m’a fait accroire que Mlle  Clairon pourrait venir consulter Tronchin ; en ce cas, il faudra que je fasse rebâtir mon théâtre ; mais je suis devenu si vieux que je ne peux plus même jouer

  1. L’abbé Bazin, nom sous lequel Voltaire donna la Philosophie de l’Histoire.
  2. Le 17 mai 1765.