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J’enverrai incessamment à frère Gabriel de quoi les faire brailler encore : car, pendant qu’ils sont en train de braire, il n’y a pas de mal à leur tenir toujours la bouche ouverte. J’ai commencé par des croquignoles, je continuerai par les coups de boussine, ensuite viendront les coups de gaule, et je finirai par les coups de bâton ; quand ils en seront là, ils seront si accoutumés à être battus qu’ils prendront les coups de bâton pour des douceurs. Mon Dieu, l’odieuse et plate canaille ! mais elle n’a pas longtemps à vivre, et je ne lui épargnerai pas un coup de stylet.

Vous avez su l’aventure de la Comédie[1] ; nous allons vraisemblablement perdre Mlle Clairon, qui ne remontera plus sur le théâtre, si elle ne veut pas perdre l’estime des honnêtes gens. Votre maréchal[2] a tenu une jolie conduite ! Son procédé est atroce et abominable : aussi finira-t-il, aux yeux du public, par avoir tout l’odieux et tout le ridicule de cette affaire. Je ne doute pas que plusieurs comédiens ne se retirent, s’ils ne sont pas en effet aussi vils qu’on voudrait les rendre. Vous avez beau faire, mon cher maître, vos vers passeront à la postérité, mais le nom de votre maréchal n’y passera pas ; on lira vos vers ; on demandera qui était cet homme, et l’histoire dira : Je ne m’en souviens plus. Il faut avouer que vos protégés de la cour (car je ne leur fais pas l’honneur et à vous le tort de dire vos protecteurs) ne sont pas heureux en renommée : voyez le beau coton qu’ils jettent tous ! Que dites-vous de la belle colonie de Cayenne, pour laquelle on a dépensé des sommes immenses ? On y a envoyé, il y a dix-huit mois, quatorze mille hommes, dont il ne restait plus que quinze cents il y a trois mois ; on va ramener tout ce qui reste, et peut-être n’en reviendra-t-il pas six cents. Que le roi est à plaindre d’être si indignement servi, lorsqu’il mérite tant de l’être bien ! Helvétius me paraît bien content de son voyage. Adieu, mon cher maître.


6003. — À M. DAMILAVILLE.
29 avril.

L’idée de l’estampe[3] des Calas est merveilleuse. Je vous prie, mon cher frère, de me mettre au nombre des souscripteurs pour douze estampes. Il faut réussir à l’affaire des Sirven comme à celle des Calas : ce serait un crime de perdre l’occasion de rendre le fanatisme exécrable.

Je crois que le généreux Élie peut toujours faire son mémoire. La confirmation de l’arrêt de Toulouse est assez constatée par le procès-verbal d’exécution. Le mémoire de Sirven est de la plus

  1. Plusieurs des comédiens français avaient refusé de jouer avec un de leurs camarades nommé Dubois, qui avait eu un procès peu honorable.
  2. Le maréchal de Richelieu.
  3. Le dessin était de Carmontelle ; on proposa pour la gravure une souscription au profit de la famille Calas. Voltaire fit mettre cette estampe au chevet de son lit ; voyez sa lettre à Damilaville, du 12 mai 1766.