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démocratie qui tient actuellement de l’anarchie : et si les choses s’aigrissent, il faudra une seconde fois avoir recours à la médiation, et supplier le roi de daigner mettre la paix une seconde fois dans ce petit coin de terre dont il a déjà été le bienfaiteur.

Je finis par le tripot. J’avoue que je suis honteux, dans ma soixante-douzième année, de prendre encore quelque intérêt à ces misères ; mais si la raison que j’ai eu l’honneur de vous alléguer vous touche, je vous aurai beaucoup d’obligation de vouloir bien permettre que les meilleurs acteurs jouent mes faibles ouvrages.

Je vous demande mille pardons de vous importuner de cette bagatelle. Je peux vous assurer et vous jurer, par mon tendre et respectueux attachement pour vous, que M. d’Argental n’a eu aucune part à la justice que je vous ai demandée. Je sais, à n’en pouvoir douter, qu’il est au désespoir d’avoir perdu vos bonnes grâces. Il vous a obligation, il en est pénétré, et il ne se console point que son bienfaiteur le croie un ingrat.

Vous savez que le tripot est le règne de la tracasserie.

Quelque bonne âme n’aura pas manqué de l’accuser d’avoir fait une brigue en ma faveur. Je crois que j’ai encore la lettre de Grandval[1], par laquelle il me demandait les rôles que je lui ai donnés ; mais, encore une fois, je n’insiste sur rien ; je m’en remets à votre volonté et à votre bonté dans les petites choses comme dans les plus importantes.

Pardonnez à un vieux malade, presque aveugle, de s’être seulement souvenu qu’il y a un théâtre à Paris. Je ne dois plus songer qu’à mourir tout doucement dans ma retraite au milieu des neiges. C’est à la seule philosophie d’occuper mes derniers jours, et vos bontés seront ma consolation jusqu’au dernier moment de ma vie.


5940. — À M.  LE PRINCE DE LIGNE.
À Ferney, 14 mars.

Monsieur le prince, il faut que vous soyez une bonne âme, pour daigner vous souvenir d’un pauvre solitaire, au milieu des diètes d’Allemagne et du brillant fracas des couronnements. Il y a douze ans, Dieu merci, que je n’ai vu que des rois de théâtre : encore même ai-je renoncé à les voir en peinture. J’ai abattu mon petit théâtre. Les calvinistes et les jansénistes ne me reprocheront plus de favoriser l’œuvre de Satan.

  1. Voyez les lettres 5849 et 5927.