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chose à de pauvres diables : il faut que le pauvre diable vive ; mais il faudrait au moins qu’il me consultât pour gagner son argent plus honnêtement. Vous m’apprenez, monsieur, que l’auteur de l’Année littéraire a fait usage de ces lettres ; mais vous ne me dites pas quel usage, et si c’est celui qu’on fait ordinairement de ses feuilles. Tout ce que je peux vous répondre, c’est que je n’ai jamais lu l’Année littéraire, et que je suis trop propre pour en faire usage.

Vous craignez que l’impression de ces chiffons ne me fasse mourir de chagrin. Rassurez-vous : j’ai de bons parents qui ne m’abandonnent pas dans ma vieillesse décrépite. Mlle  Corneille, bien mariée, et devenue ma fille, a grand soin de moi. J’ai dans ma maison un jésuite qui me donne des leçons de patience : car, si j’ai haï les jésuites lorsqu’ils étaient puissants et un peu insolents, je les aime quand ils sont humiliés. Je ne vois d’ailleurs que des gens heureux : cela ragaillardit. Mes paysans sont tous à leur aise : ils ne voient jamais d’huissiers avec des contraintes. J’ai bâti, comme M. de Pompignan, une jolie église où je prie Dieu pour sa conversion et celle de Catherin Fréron. Je le prie aussi qu’il vous inspire la discrétion de ne plus laisser prendre de copies infidèles des lettres qu’on vous écrit. Portez-vous bien. Si je suis vieux, vous n’êtes pas jeune. Je vous pardonne de tout mon cœur votre faiblesse, j’ai pardonné dans d’autres[1] jusqu’à l’ingratitude. Il n’y a que la méchanceté orgueilleuse et hypocrite qui m’a quelquefois ému la bile ; mais à présent rien ne me fait de la peine que les mauvais vers qu’on m’envoie quelquefois de Paris. J’ai l’honneur d’être, comme il y a trente ans, monsieur, votre, etc.


5924. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT.
À Ferney, 27 février.

Mes yeux ne peuvent guère lire, monsieur ; mais ils peuvent encore pleurer, et vous m’en avez bien fait apercevoir. Je ne sais quelle impression faisaient sur les Romains les oraisons pour Cluentius et pour Roscius Amerinus ; mais il me paraît impossible que votre mémoire ne porte pas la conviction dans l’esprit des juges, et l’attendrissement dans les cœurs. Je suis sûr que ce

  1. Dans d’autres est la leçon du Dernier Volume, et il y a à d’autres dans Beuchot.