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Enfin il est évident que M. Dupleix lui-même est accusé de malversation dans le mémoire de la compagnie des Indes, tandis qu’il redemande une somme de treize millions. Je ne connais point M. Dupleix, je n’ai point connu M. de La Bourdonnais ; je sais seulement que l’un a pris Madras, et que l’autre a sauvé Pondichéry.

Il est bien vrai, monsieur, comme vous le dites, que l’un n’aurait pu défendre Pondichéry, ni l’autre prendre Madras, si on ne leur avait fourni des forces suffisantes ; mais, en vérité, aucun-historien, depuis Hérodote jusqu’à Hume, ne s’est avisé d’observer que ceux qui ont pris ou défendu des villes aient reçu des soldats et des munitions des puissances pour lesquelles ils combattaient : la chose parle d’elle-même ; on ne fait ni on ne soutient de sièges sans quelques dépenses et quelques secours préalables.

J’ajoute encore qu’on peut prendre et sauver des villes et des provinces, et faire de très-grandes fautes. Vous en reprochez d’importantes à M. Dupleix, qui en a reproché à M. de La Bourdonnais, lequel en a reproché à d’autres. Le sieur Amat est accusé de ne s’être pas oublié à Madras, et le sieur Amat a accusé plusieurs personnes de ne s’être pas oubliées ailleurs. Enfin votre général[1] est à la Bastille : c’est donc vous, bien plus que moi, qui vous plaignez de brigandages.

Il y en a donc eu ; les lois divines et humaines permettent donc de le dire. Ces brigandages ne peuvent avoir été commis que dans l’Inde, où vos nababs donnent des exemples peu chrétiens, et où les jésuites font des lettres de change.

Il résulte de tout cela que l’administration dans l’Inde a été extrêmement malheureuse ; et je pense que notre malheur vient en partie de ce qu’une compagnie de commerce dans l’Inde doit être nécessairement une compagnie guerrière. C’est ainsi que les Européans y ont fait le commerce depuis les Albuquerque. Les Hollandais n’y ont été puissants que parce qu’ils ont été conquérants. Les Anglais, en dernier lieu, ont gagné, les armes à la main, des sommes immenses, que nous avons perdues ; et j’ai peur qu’on ne soit malheureusement réduit à être oppresseur ou opprimé. Une des causes principales de nos désastres est encore d’être venus les derniers en tout, à l’occident comme à l’orient, dans le commerce comme dans les arts ; de n’avoir jamais fait les choses qu’à demi. Nous avons perdu nos posses-

  1. Lally.