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ce jeune homme[1] : il peint à merveille les ridicules de ce monde, et il n’en a point ; on dit qu’il ressemble en cela à madame sa mère. Je crois qu’il ira loin. J’ai vu des jeunes gens de Paris et de Versailles, mais ils n’étaient que des barbouilleurs auprès de lui. Je ne doute pas qu’il n’aille exercer ses talents à Lunéville[2]. Je suis persuadé que vous ne pourrez vous empêcher de l’aimer de tout votre cœur quand vous le connaîtrez. Il a fort réussi en Suisse. Un mauvais plaisant a dit qu’il était là comme Orphée, qu’il enchantait les animaux ; mais le mauvais plaisant avait tort. Il y a actuellement en Suisse beaucoup d’esprit ; on a senti très-finement tout ce que valait votre peintre. S’il va à Lunéville, comme il le dit, je vous assure, madame, que je suis bien fâché de ne pas l’y suivre. J’aurais été bien aise de ne pas mourir sans avoir eu l’honneur de faire encore ma cour à madame sa mère. Tout vieux que je suis, j’ai encore des sentiments ; je me mets à ses pieds, et, si elle veut me le permettre, aux pieds du roi. J’aurais préféré les Vosges aux Alpes ; mais Dieu et les dévots n’ont pas voulu que je fusse votre voisin. Goûtez, madame, la sorte de bonheur que vous pouvez avoir ; ayez tout autant de plaisir que vous le pourrez ; vous savez qu’il n’a que cela de bon, de sage, et d’honnête. Conservez-moi un peu de bonté, et agréez mon sincère respect.



Le Vieux Suisse, Voltaire.

5849. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 19 décembre.

Remontre très-humblement François de V. l’aveugle à son héros :

1° Que son héros n’a pas autant de mémoire que d’imagination et de grâces ; qu’il daigna mander le 1er de septembre à son vieux courtisan : « Vous êtes et serez toujours le maître des rôles de toutes vos pièces : c’est un droit qui vous serait moins disputé qu’à personne, et une loi où l’on obéira en vous battant des mains ; je le veux absolument. »

    tome V du Lycée français, page 39, a été réimprimée, en 1822, dans le Journal anecdotique et feuille d’affiches de la ville de Castelnaudary, 2e semestre, n° 9, du 10 avril ; et en 1827, à la page 114 du Voyage à Saint-Léger, par Aug. de Labouisse. (B.)

  1. Le chevalier de Boufflers, fils de la marquise. Voyez les lettres du chevalier de Boufflers sur son voyage en Suisse, à la suite des Lettres de Mme de Graffigny publiées par Eug. Asse ; Paris, Charpentier, 1879.
  2. Où était la cour de Stanislas.