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5802. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
22 octobre.

Divin ange, laissons un moment les roués, et parlons des brûlés. Deux conseillers du conseil de Genève sont venus dîner aujourd’hui chez moi ; ils ont constaté que le Dictionnaire philosophique, qu’on m’impute, est de plusieurs mains ; ils ont reconnu l’écriture et la signature de l’auteur de l’article Messie, qui est, comme vous savez, un prêtre. Ils ont reconnu mot pour mot l’extrait de l’article Apocalypse, de M. Abauzit, Français réfugié depuis la révocation de l’édit de Nantes, et aussi plein d’esprit et de mérite que d’années. Ils certifient à tout le monde que l’ouvrage est de plusieurs mains. Ils sont d’avis seulement qu’il ne faut pas compromettre les auteurs d’une douzaine d’articles répandus dans cet ouvrage. Tout le monde sait que c’est un pauvre libraire de Lausanne, chargé d’une nombreuse famille et accablé de misère, à qui un homme de lettres de ce pays-là donna le recueil, il y a quelques années, par une compassion peut-être imprudente. En un mot, on est persuadé ici que je n’ai nulle part à cette édition.

Il serait donc bien triste qu’on m’accusât en France d’une chose dont on ne me soupçonne pas à Genève.

D’ailleurs, dès que j’ai vu que l’imprudence de quelques gens de lettres m’attribuait à Paris cet ouvrage, j’ai été le premier à le dénoncer dans une lettre ostensible[1] écrite à M. Marin, et envoyée tout ouverte dans une adresse à M. de Sartine.

J’ai écrit à monsieur le vice-chancelier[2] à M. de Saint-Florentin[3] ; en un mot, j’ai fait ce que j’ai pu pour prévenir les progrès de la calomnie auprès du roi. Je sais que le roi en avait parlé au président Hénault d’une manière un peu inquiétante.

Je suis pressé de faire un voyage dans le Wurtemberg et dans le Palalinat pour l’arrangement de mes affaires, ayant presque tout mon bien dans ce pays-là ; mais je ne veux point partir que je n’aie détruit auparavant une imposture qui peut me perdre.

  1. Elle manque.
  2. Id.
  3. Id.