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Il aurait peut-être le plaisir d’aller aussi à mon enterrement, si mon estomac avait continué à se dispenser de la digestion. Des amis, qui ne croient pas à la médecine plus que vous et moi, m’avaient conseillé et forcé, malgré ma répugnance, de voir un médecin, à peu près comme ils m’auraient conseillé de voir un confesseur. Les remèdes que j’ai faits n’ont servi qu’à empirer mon état, et je ne me trouve mieux que depuis que j’ai envoyé paître les remèdes et la médecine, qui est bien la plus ridicule chose, à mon avis, que les hommes aient inventée ; à moins que vous ne vouliez mettre devant la théologie, qui en effet est bien digne de la première place dans le catalogue des impertinences humaines. Pour tout remède à mon estomac, je me suis prescrit un régime dont je me trouve très-bien, et que je suivrai très-fidélement ; et je compte qu’avant un mois mes entrailles rentreront dans l’ordre accoutumé[1].

Je doute fort qu’il en soit de même pour les jésuites, quoique plusieurs parlements aient jugé à propos de les conserver sous le masque, et d’enfermer ainsi le loup dans la bergerie.

Nosseigneurs de la classe de Paris ont prétendu être essentiellement et uniquement la cour des pairs. Nosseigneurs des autres classes en ont mis leur bonnet de travers ; et en conséquence, parce qu’ils n’ont pas pu faire rouer le duc de Fitz-James, frère d’un évêque janséniste, leur bon ami, ils laissent au milieu de nous ces hommes qu’ils ont déclarés empoisonneurs publics, assassins, cartouchiens, sodomites, etc. Il y a bien à tout cela de quoi rire un peu de l’esprit conséquent qui dirige toutes les démarches de ces messieurs, et de l’esprit patriotique qui les anime.

J ai reçu une belle et grande lettre de votre ancien disciple, pleine d’une très-saine et utile philosophie. C’est bien dommage que ce prince philosophe ne soit pas, comme autrefois, le meilleur ami du plus aimable et du plus utile de tous les philosophes de nos jours. Que ne donnerais-je point pour que cela fut !

J’oubliais vraiment un article de votre dernière lettre[2] qui mérite bien réponses. Si vous êtes amoureux, dites-vous, restez à Paris. À propos de quoi me supposez-vous l’amour en tête ? je n’ai pas ce bonheur ou ce malheur-là, et mes entrailles sont d’ailleurs trop faibles pour avoir besoin d’être émues par autre chose que par mon dîner, qui leur donne assez d’occupation pour qu’elles n’en cherchent point ailleurs. J’imagine bien qui[3] peut vous avoir écrit cette impertinence, et à propos de quoi ; mais il vaut mieux qu’on vous écrive que je suis amoureux que si on vous mandait des faussetés plus atroces dont on est bien capable. On n’a voulu que me rendre ridicule, et ce ridicule-là ne me fait pas grand mal. Je craindrais bien plus le ridicule de ne pas digérer. Digérer un peu et rire beaucoup, voilà à quoi je borne mes prétentions.

Mes amours prétendus me rappellent une chose charmante que j’ai lue

  1. Hémistiche de Racine dans Bajazet, acte II, scène ii.
  2. Pages 276-277.
  3. Mme du Deffant.