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suis trop vrai pour lui avoir caché que ni son mérite ni ses desseins ne pouvaient réussir dans le pays qu’il semblait avoir choisi pour sa retraite. Genève convient fort à des Genevois ; les Treize-Cantons conviennent aux Suisses, mais bien rarement à des Français. Le pays de Gex n’a que des terres ingrates, et les hommes sont souvent plus ingrats encore. S’il revient dans ma retraite, si je peux lui être utile, je lui rendrai tous les services qui dépendront de moi.

Je suis charmé que cette occasion m’ait mis à portée de vous assurer des sentiments respectueux avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.


5724. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
26 juillet.

Je commence, madame, par vous supplier de me mettre aux pieds de Mme la maréchale de Luxembourg. Son protégé Jean-Jacques aura toujours des droits sur moi, puisqu’elle l’honore de ses bontés ; et j’aimerai toujours l’auteur du Vicaire savoyard, quoi qu’il ait fait, et quoi qu’il puisse faire. Il est vrai qu’il n’y a point en Savoie de pareils vicaires ; mais il faudrait qu’il y en eût dans toute l’Europe.

Il me semble, madame, qu’au milieu de toutes vos privations, vous pensez précisément comme Mme de Maintenon lorsqu’à votre âge elle était reine de France : elle était dégoûtée de tout ; c’est qu’elle voyait les choses comme elles sont, et qu’elle n’avait plus d’illusions. Vous souvient-il d’une de ses lettres dans laquelle elle peint si bien l’ennui et l’insipidité des courtisans ?

Si vous jouissiez de vos deux yeux, je vous tiendrais bien plus heureuse que les reines, et surtout que leurs suivantes. Maîtresse de vous-même, de votre temps, de vos occupations, avec du goût, de l’imagination, de l’esprit, de la philosophie, et des amis, je ne vois pas quel sort pourrait être au-dessus du vôtre ; mais il faut deux yeux, ou du moins un, pour jouir de la vie.

Je sais ce qui en est avec mes fluxions horribles, qui me rendent quelquefois entièrement aveugle : je n’ai pas vos ressources ; vous êtes à la tête de la bonne compagnie, et je vis dans la retraite ; mais je l’ai toujours aimée, et la vie de Paris m’est insupportable.

Dieu soit béni de ce que M. le président Hénault aime le