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5715. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
18 juillet.

Comment se porte madame l’ange ? Vous souvenez-vous de Sémiramis ? comme elle fut jouée froidement, comme elle tomba à la première représentation ? On dit qu’il n’y a point d’action dans les roués ; il me semble qu’il y en a beaucoup, et qu’un Pompée un peu ferme eût fait une grande impression. Est-il vrai que Molé est incapable de jouer les rôles vigoureux ? En ce cas, pourquoi lui avoir donné Pompée ? L’ex-jésuite comptait que Lekain jouerait ce rôle. Quoi qu’il en soit, mes divins anges, Lekain a écrit au défroqué, et voici ma réponse, que je prends la liberté de vous adresser.

Plus j’y pense, plus je crois que la pièce, jouée avec chaleur, n’aurait point refroidi. Si je me trompe, détrompez-moi : car j’aime encore plus la vérité que je n’aime les jésuites, et presque autant que j’aime mes anges, à qui je suis dévoué pour toute ma vie.


5716. — À M.  LEKAIN.
18 juillet.

Mon cher grand acteur, le petit ex-jésuite auteur de ce malheureux drame m’est venu trouver ; il faut encourager la jeunesse : je l’ai engagé à retravailler son ouvrage, et il doit vous être remis. Je doute fort que, malgré tous ses soins, vous trouviez un libraire qui veuille l’imprimer ; il n’y a que les succès qui enhardissent les libraires. Je crois que votre intérêt serait de reprendre la pièce sans annoncer de corrections, mais en distribuant de nouveaux rôles : il se pourrait que cette pièce, bien représentée, plût au moins à quelques amateurs. Je sais que le sujet n’en est pas fort touchant ; je sais même que l’Opéra-Comique, où l’on joue les contes de La Fontaine[1], et où il n’est question que de tétons, de baisers, et de jouissances, inspire beaucoup de froideur pour tout spectacle sérieux ; mais il y a un petit nombre de gens qui aiment les sujets tirés de l’histoire romaine ; et si ce petit nombre est content, vous tirerez alors

  1. On avait mis sur le théâtre de la Foire, en 1740, la Servante justifiée ; en 1753, On ne s’avise jamais de tout. Depuis la réunion de ce théâtre à la Comédie-Italienne, on y donna cette dernière pièce, le Tonnelier, et quelques autres comédies à ariettes, dont le sujet est pris dans les Contes de La Fontaine.