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Jugez de tout cela, madame, si je suis un homme fait pour Mme de Jaucourt. Il m’est impossible de parler à une jeune femme plus d’un demi-quart d’heure. Si elle était philosophe, et qu’elle voulût mépriser également saint Augustin et Calvin, j’aurais alors de belles conférences avec elle.

Pour M. Hume, c’est tout autre chose : vous n’avez qu’à me l’envoyer, je lui parlerai, et surtout je l’écouterai. Nos malheureux Welches n’écriront jamais l’histoire comme lui ; ils sont continuellement gênés et garrottés par trois sortes de chaînes : celles de la cour, celles de l’Église, et celles des tribunaux appelés parlements.

On écrit l’histoire en France comme on fait un compliment à l’Académie française ; on cherche à arranger ses mots de façon qu’ils ne puissent choquer personne. Et puis je ne sais si notre histoire mérite d’être écrite.

J’aime bien autant encore la philosophie de M. Hume que ses ouvrages historiques. Le bon de l’affaire, c’est qu’Helvétius, qui, dans son livre de l’Esprit, n’a pas dit la vingtième partie des choses sages, utiles, et hardies, dont on sait gré à M. Hume et à vingt autres Anglais, a été persécuté chez les Welches, et que son livre y a été brûlé. Tout cela prouve que les Anglais sont des hommes, et les Français des enfants.

Je suis un vieil enfant plein d’un tendre et respectueux attachement pour vous, madame.



5681. — À M. LE PRÉSIDENT HÉNAULT.
Aux Délices, 20 Juin.

Vous m’avez envoyé, mon illustre et cher confrère, le portrait d’un des premiers hommes de France, et mon cœur vous répète ce que l’exergue[1] vous a dit. Riez d’une caricature qui me ressemble assez : c’est l’ouvrage d’un jeune homme de quinze ans, qui, en me voyant par la fenêtre, m’a croqué en deux minutes, et m’a gravé en quatre. Ce siècle est le siècle des graveurs ; sans vous, il ne serait pas celui des grands hommes.

  1. C’était le vers

    Qu’il vive autant que son ouvrage !


    qui fait partie d’une lettre de Voltaire, en prose et en vers, du 1er septembre 1744 ; voyez tome XXXVI, page 320.