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faut donc qu’il y ait eu une lettre de perdue, avec un petit cahier pour la Gazette littéraire. J’envoie ce paquet-ci, pour plus de sûreté, par M. le duc de Praslin, à qui je l’adresse. Il n’est pas douteux que M. l’abbé Arnaud aura un Corneille, aussi bien que les héros et les héroïnes tragiques ; mais il fallait que le ballot arrivât, et il faut que les exemplaires soient reliés. Je n’ai pas la moitié, à beaucoup près, des exemplaires que j’avais retenus.

Oui, je mourrai dans l’opinion que c’est une barbarie welche d’étrangler, de tronquer, de mutiler les sentiments ; c’est l’Opéra-Comique qui a mis à la mode cette abominable coutume. On ne veut plus rien aujourd’hui que par extrait ; et voilà pourquoi on n’a pas fait un bon ouvrage, depuis trente ans, en prose ou en vers. Welches ! vous êtes dans la décadence, et j’en suis bien fâché.

J’ai mis enfin M. de Chauvelin, l’ambassadeur, dans la confidence de la conspiration[1]. J’exige de lui et de madame sa femme le serment de ne rien révéler. Mais mon paquet sera assurément ouvert par M. le comte de Viri[2]. Voilà à quoi on est exposé dans les grandes affaires.

Je vous remercie bien, mes anges, des espérances que vous me donnez pour mes dîmes[3]. Si je triomphe de l’Église, ce sera de votre triomphe. L’Église et le parterre sont des gens difficiles.

J’écrirai à M. de Lorenzi et à M. Béliard[4] s’il ne me vient rien par la voie de Cramer. M. Algarotti, qui m’aurait tout fourni, vient de mourir[5].

J’ai eu l’honneur de voir aujourd’hui Mme de Puységur ; elle a voulu que je la reçusse en bonnet de nuit et en robe de chambre. Ma fluxion a un peu quitté mes yeux pour se jeter sur tout le reste. Je suis l’homme de douleur ; mais je souffre le tout assez gaiement : c’est le seul parti qu’il y ait à prendre dans ce monde.

Avez-vous vu les propositions de paix que m’a faites maître Aliboron[6], et ma petite réponse ?

Portez-vous bien surtout, mes divins anges. Ayez la bonté

  1. Pour la tragédie du Triumvirat, qu’il s’agissait de donner comme l’ouvrage d’un jeune jésuite.
  2. Ministre de la cour de Turin.
  3. Il était pour cela en procès avec un curé, qui avait porté l’affaire au parlement de Dijon. Voltaire désirait qu’elle fût évoquée au conseil d’État. Il transigea avec son curé.
  4. Ces lettres sont perdues.
  5. Le 3 mars ; voyez tome XXV, page 195 ; et XXXIII, 549.
  6. Voyez tome XXV, pages 254 et 255.