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comme si vous disiez que vous voudriez vous ennuyer. L’ennui est le pire de tous les états. Vous n’avez certainement autre chose à faire, autre parti à prendre, qu’à continuer de rassembler autour de vous vos amis : vous en avez qui sont dignes de vous.

La douceur et la sûreté de la conversation est un plaisir aussi réel que celui d’un rendez-vous dans la jeunesse. Faites bonne chère, ayez soin de votre santé, amusez-vous quelquefois à dicter vos idées, pour comparer ce que vous pensiez la veille à ce que vous pensez aujourd’hui ; vous aurez deux très-grands plaisirs, celui de vivre avec la meilleure compagnie de Paris, et celui de vivre avec vous-même. Je vous défie d’imaginer rien de mieux.

Il faut que je vous console encore, en vous disant que je crois votre situation fort supérieure à la mienne. Je me trouve dans un pays situé tout juste au milieu de l’Europe. Tous les passants viennent chez moi. Il faut que je tienne tête à des Allemands, à des Anglais, à des Italiens, et même à des Français, que je ne verrai plus ; et vous ne vivez qu’avec des personnes que vous aimez.

Vous cherchez des consolations ; je suis persuadé que c’est vous qui en fournissez à Mme la maréchale du Luxembourg. Je lui ai connu une imagination bien brillante, et l’esprit du monde le plus aimable ; j’ai cru même entrevoir chez elle de beaux rayons de philosophie ; il faut qu’elle devienne absolument philosophe : il n’y a que ce parti-là pour les belles âmes. Voyez la misérable vie qu’a menée Mme la maréchale de Villars dans ses dernières années ; la pauvre femme allait au salut, et lisait, en bâillant, les Méditations du Père Croiset[1].

Vous qui relisez Corneille, madame, mandez-moi, je vous prie, tout ce que vous pensez de mes remarques, et je vous dirai ensuite mon secret. Daignez toujours aimer un peu votre directeur, qui se ferait un grand honneur d’être dirigé par vous.


5665. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
6 juin.

Anges célestes, quoi ! je ne vous ai pas mandé que Cornélie-Chiffon, que Chimène-Marmotte nous avait donné une fille ! Il

  1. Voyez la note, tome XLI, page 372.