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n’attendrissent pas. Je vous demande en grâce qu’on n’y change rien, qu’on donne la pièce telle qu’elle est. Jouissez du plaisir de cette mascarade, sans que les comédiens me donnent l’insupportable dégoût de mutiler ma besogne. Les malheureux jouent Règulus[1] sans y rien changer, et ils défigurent tout ce que je leur donne. Je ne conçois pas cette fureur : elle m’humilie, me désespère, et me fait faire trop de mauvais sang.

J’avais une grâce à demander à Mme la duchesse de Grammont, mais je ne sais si je dois prendre cette liberté. Je ne sais rien, je ne vois le monde que par un trou, de fort loin, et avec de très-mauvaises lunettes. Je cultive mon jardin comme Candide ; mais je ne suis point de son avis sur le meilleur des mondes possibles ; je crois seulement avec fermeté que vous êtes de tous les anges les plus aimables et les plus remplis de bonté pour moi : aussi ma dévotion pour vous est sans bornes.


5646. — À M.  BERTRAND.
Aux Délices, 15 mai.

Hiacos intra muros peccatur et extra.

(Hor., lib, I, ep. II, v. 16.)

Mais, mon cher philosophe, Berne aura la gloire de tout pacifier ; il lui suffira de dire : Quos ego[2]… On ne connaît pas trop ici les fadaises de Guillaume Vadé ; ce sont des joujoux faits pour amuser des Français, et dont les têtes solides de la Suisse ne s’accommoderaient guère. Cependant, s’il y a ici quelques exemplaires, je ne manquerai pas de vous en faire avoir un. J’aimerais bien mieux être chargé par l’électeur palatin de vous présenter quelque chose de plus essentiel.

Je vous suis infiniment obligé de la bonté que vous avez eue de m’envoyer ces Irrigations[3]. Je vous supplie de présenter mes très-humbles remerciements à l’auteur respectable ; nous lui devrons, mes vaches et moi, de grandes actions de grâces. Nous ne sommes pas, dans notre pays de Gex, de si bons cultivateurs

  1. Tragédie de Pradon, jouée, pour la première fois, en 1688, et qui est comprise dans le Catalogue alphabétique de toutes les pièces qui ont été remises sur le théâtre de la Comédie française, imprimé dans les Spectacles de Paris (année 1764).
  2. Enéide, I, 135.
  3. Traité de l’irrigation des prés, par M. Bertrand ; 1764, in-12.